La Tristesse du Samouraï – Víctor del Árbol

Víctor del ÁRBOL
La Tristesse du Samouraï (traduit par Claude Beton)
Editions Actes Sud, 2012
349 pages
Collection Actes noirs

Présentation de l’éditeur

Mise élégante et port altier, une femme arpente les quais de la gare de Mérida au petit matin. Des passagers apeurés n’osent croire que la guerre est finie, mais Isabel fait partie de la caste des vainqueurs et n’a rien à redouter des phalangistes arrogants qui battent le pavé en ce rude hiver 1941. Elle presse la main de son plus jeune fils et écrit à l’aîné, qu’elle s’apprête à abandonner, les raisons de sa fuite.

Le train pour Lisbonne partira sans elle. L’enfant rentre seul chez son père, obnubilé par le sabre qu’un homme vient de lui promettre. Il n’est encore qu’un petit garçon vulnérable, très attaché à sa mère. Et Isabel disparaît pour toujours.

Des années plus tard, une avocate envoie sous les verrous un inspecteur jugé coupable d’une bavure policière. Evidences et preuves s’amoncellent : la joute est trop aisée et la victoire trop belle. María vient d’ouvrir une effroyable boîte de Pandore, libérant quatre décennies de fureur, de vengeance et de haine dont elle ignore et qui pourtant coule dans ses veines.

De l’après-guerre espagnol à la tentative de de coup d’Etat de février 1981, la saga familiale abonde en complots, enlèvements et trahisons qui marquent trois générations au fer rouge. Un instituteur de village s’est épris d’une femme trop grande pour ses rêves. Faute originelle qui a transformé les enfants en psychopathes, les victimes en bourreaux, le code d’honneur des samouraïs en pitoyable massacre.

Se jouant à merveille d’un contexte historique opaque, La Tristesse du samouraï  est un intense thriller psychologique qui mène les personnages aux limites de leurs forces pour briser la transmission héréditaire d’un péché mortel.


Malgré son titre, ce roman n’a que peu de rapports avec le Japon. Il fait référence au nom d’un sabre japonais offert à un enfant fasciné par les samouraïs et leur code d’honneur. Nous sommes en Espagne. Un crime commis en 1941, à la fin de la Guerre civile, aura des répercussions encore 40 ans plus tard, jusqu’en 1981. L’auteur nous révèle au fur et à mesure du récit les tenants et aboutissants de ce crime, en nous menant tantôt dans les années 1940, tantôt quarante ans plus tard. Tout commence en 1975 avec María, une avocate qui envoie en prison un policier qui a commis une bavure. Elle ne réalise pas que cet évènement qui lance sa carrière est aussi le point de départ d’une effroyable vengeance.

C’est dur de parler de ce roman, en plus de ce que la 4e de couverture révèle, parce qu’il y a tellement de personnages à suivre, qui font des actions différentes et qui ont leurs motivations propres, que cela deviendrait très fouillis, un peu comme le rendu de ce roman.

En effet l’auteur fait des allers-retours entre les années 1940 et 1980, pour construire petit à petit son intrigue, alternant les évènements concernant le « péché originel » et ces conséquences 40 ans plus tard. En soi, ce n’est pas un mauvais procédé, mais cela m’a semblé très brouillon. C’est comme une façon trop poussée de cultiver le mystère – qui tombe d’ailleurs à plat, parce que l’effet de suspens ou de mystère n’est pas vraiment retransmis au lecteur – qui du fait annihilerait tout le sens des évènements.

Il y a une pléthore de personnages, souvent ripoux, sadiques ou malades – joie – dont on suit les points de vue – avec des effets de « flash forward » sur ce qui va se passer pour tenter d’alimenter le suspens, nous faisant craindre le pire pour les personnages principaux. Mais en fait, ces personnages – Maria notamment – se font balader du début à la fin, ils n’ont aucune initiative ou alors sont froids. Aucun ne nous semblent sympathiques, à part la véritable victime de l’histoire.

Je suis donc très mitigée à propos de cette histoire. J’aurais aimé que le contexte dans lequel se déroule l’intrigue sauve le tout. On est en effet en Espagne à la toute fin de la Guerre civile, et 40 ans plus  dans les années qui suivent la mort de Franco, alors que l’Espagne tente de surmonter cet épisode. Mais tout est tellement resserré autour des personnages que finalement, à part constater ce dont on se doutait déjà – corruption, assassinats, procès truqués, etc. – il reste peu de place pour développer une ambiance plus générale.

Voilà pour ce roman, j’ai tenté ici de mettre le doigt sur tout ce qui m’a gêné dans cette lecture. Je ne suis pas très emballée, mais je n’ai pas non plus détesté. Je pense simplement que je l’oublierai très vite. Cependant, si l’Espagne post-Guerre civile ou post-Franco vous intéresse et si les machinations et les histoires de vengeance vous plaisent, n’hésitez pas à bous faire votre propre avis.

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L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir – Rosa Montero

Rosa MONTERO
L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir
(traduit par Miriam Chirousse)
Editions Métailié, 2015
177 pages

Présentation de l’éditeur

Chargée d’écrire une préface pour l’extraordinaire journal que Marie Curie a tenu après la mort de Pierre Curie, Rosa Montero s’est vue prise dans un tourbillon de mots. Au fil de son récit du parcours extraordinaire et largement méconnu de cette femme hors normes, elle construit un livre à mi-chemin entre les souvenirs personnels et la mémoire collective, entre l’analyse de notre époque et l’évocation intime. Elle nous parle du dépassement de la douleur, de la perte de l’homme aimé qu’elle vient elle-même de vivre, du deuil, de la reconstruction de soi, des relations entre les hommes et les femmes, de la splendeur du sexe, de la bonne mort et de la belle vie, de la science et de l’ignorance, de la force salvatrice de la littérature et de la sagesse de ceux qui apprennent à jouir de l’existence avec plénitude et légèreté.

Vivant, libre, original, ce texte étonnant, plein de souvenirs, d’anecdotes et d’amitiés nous plonge dans le plaisir primaire qu’apporte une bonne histoire. Un récit sincère, émouvant, captivant dès ses premières pages. Le lecteur sent, comme toujours avec la vraie littérature, qu’il a été écrit pour lui.


J’ai acheté une demi-douzaine de biographies de Mme Curie, dont je savais déjà certaines choses auparavant, mais pas tant que ça. Et un truc informe a commencé à pousser dans ma tête. L’envie de raconter son histoire à ma façon. L’envie d’utiliser sa vie comme un mètre étalon pour comprendre la mienne, et je ne suis pas en train de parler de théories féministes, mais de tenter de démêler quelle est la #PlaceDeLaFemme dans cette société où les places traditionnelles ont été effacées (…). L’envie de fureter aux quatre coins du monde, de mon monde, et de réfléchir à une série de #Mots qui éveillent en moi des échos, des #Mots qui tournent dernièrement dans ma tête comme des chiens errants. L’envie d’écrire comme on respire. Avec naturel, avec #Légèreté.

Alors qu’elle était bloquée dans l’écriture d’un nouveau roman, Rosa Montero a été contacté par son éditrice qui lui a proposé d’écrire une préface au journal de Marie Curie – celui qu’elle a écrit après la mort de son mari Pierre – qui va bientôt être édité. Quoique ça peut aussi bien être un livre dont le Journal serait un appendice, l’éditrice n’est pas fixée sur la forme. L‘idée ridicule de ne plus jamais te revoir est le résultat de ce travail. Pas vraiment un roman, pas vraiment une biographie, ni une autobiographie, c’est un objet inclassable, qui mêle, comme Rosa Montero l’annonce, le récit de la vie de Marie Curie, depuis son enfance jusqu’à sa mort et des réflexions sur sa propre vie et sur la vie, la mort, le deuil, l’amour, les relation entre les hommes et les femmes, l’ambition, l’injonction d’#HonorerSesParents. Et l’écriture bien sûr.

C’est donc un récit protéiforme, peut-être un peu effrayant comme je l’ai présenté, ou en tout qui a l’air un peu fourre-tout. Mais c’est sans compter le talent d’écriture de Rosa Montero. Celle-ci parvient formidablement son pari. Elle raconte Marie Curie comme on ne l’a jamais vue, jamais imaginée, en interprétant certains aspects de sa vie, et en les mettant en perspective avec son époque et celle d’aujourd’hui. Autant adulée que haïe, Marie Curie est aussi une femme qui a été amoureuse et qui a été anéantie par la mort de son mari, Pierre Curie. Elle est brisée, et elle écrit à son mari des lettres bouleversante. Rosa Montero, qui a aussi connu récemment la mort de son époux, évoque alors le deuil, qu’elles ont toutes les deux connues.

La vie de Marie Curie est marquante, par ses travaux, sa réussite exceptionnelle pour l’époque – 2 Prix Nobel, en physique et en chimie, donc dans deux disciplines différentes, chose qui n’est arrivée qu’à une seule personne et encore il y avait un Prix Nobel de la Paix, chose très symbolique tout de même – et ce malgré les conditions effroyables dans lesquelles elle a découvert le radium, et les bâtons que les institutions scientifiques ont pu lui mettre dans les roues. Elle a été adorée, puis lynchée par l’opinion publique lors de son aventure avec Paul Langevin. Elle a tant réalisé de choses à l’encontre de toutes les normes de son époque quant à la place de la femme qu’elle est une véritable héroïne. Rosa Montero l’humanise et nous la fait aimer, cette héroïne.

Et puis, elle parle de la vie, de la mort, des hommes, des femmes, et c’est magnifique.

Je suis encore un peu confuse et parler de ce livre est difficile, d’autant qu’on l’a bien mieux fait que moi auparavant. J’ai adoré, j’ai été bouleversée, passionnée, et tout cela m’a fait réfléchir. Je n’ai pas encore la même expérience de vie de Rosa Montero, il n’empêche que cela parle à tout le monde. Aussi lisez ce livre, il est court, il est beau, et il n’en faudrait pas plus.

Pour finir de vous convaincre, un dernier extrait, les premières phrases du livres :

Comme je n’ai pas eu d’enfants, ce qui m’est arrivé de plus important dans la vie ce sont mes morts, et je veux dire par là la mort de mes êtres chers. Vous trouvez ça lugubre, peut-être même morbide ? Je ne le vois pas comme ça, bien au contraire : pour moi c’est tellement logique, tellement naturel, tellement vrai. C’est seulement lors des naissances et des morts que l’on sort du temps : la Terre stoppe sa rotation et les futilités pour lesquelles nous gaspillons nos journées tombent au sol comme des poussières colorées. Quand un enfant vient au monde ou qu’une personne meurt, le présent se fend en deux et vous laisse entrevoir un instant la faille de la vérité : monumentale, ardente et impassible.

En complément :

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