La Ballade de l’impossible – Haruki Murakami

Couverture - La ballade de l'impossible

Haruki MURAKAMI

La Ballade de l’impossible

(traduit par Rose-Marie Makino-Fayolle)

Editions 10-18, 2009

445 pages

Présentation de l’éditeur

Dans un avion, une chanson ramène Watanabe à ses souvenirs. Son amour de lycée pour Naoko, hantée comme lui par le suicide de leur ami Kizuki. Puis sa rencontre avec une jeune fille, Midori, qui combat ses démons en affrontant la vie. Hommage aux amours enfuies, le premier roman culte d’Haruki Murakami fait resurgir la violence et la poésie de l’adolescence.


Watanabe, le narrateur, se souvient brutalement de ses années d’université en entendant Norwegian Wood des Beatles dans un avion. Il se rend compte qu’il se souvient difficilement de Naoko alors qu’il lui avait promis de se souvenir toujours d’elle. Il décide alors d’écrire les souvenirs qu’il a de ses années à l’université pour le figer et ne plus oublier cette période de sa vie.

Il évoque rapidement ses amitiés du lycée, notamment le suicide de son ami Kizuki, puis il raconte son inscription dans une université dans le département d’art dramatique. Il intègre un foyer pour étudiants, objet de longues description, et cohabitent avec plusieurs jeunes hommes, parmi lesquels le facho, dont le comportement est le sujet constant de plaisanterie dans le foyer, et Nagasawa, jeune homme brillant, mais qui a une conception bizarre du monde, et coureur de jupon invétéré, malgré sa charmante petite amie.

Watanabe va aussi retrouver Naoko, et rencontrer d’autres femmes, dont Midori, franche et extravagante, ou encore Reiko, ancienne pianiste dépressive.

C’est tout un monde qui se crée et se meut autour de Watanabe alors qu’il tente de vivre sa vie, de manière un peu passive, affrontant la perte et le deuil, et évoluant sur le fil ténu qui sépare l’adolescence de l’âge adulte.

L’auteur évoque sa vie dans le foyer et à l’université avec de – presque trop – nombreux détails : les livres qu’il lit, la musique qu’il écoute, ses sorties avec Nagasawa, ses longues errances avec Naoko. Il fait aussi bénéficier à son personnage des moments de pause qui prennent alors un tour presque onirique. L’ambiance de ce roman est définitivement mélancolique, aidée par le style de l’auteur qui transporte son lecteur dans la tête et les pensées du narrateur.

La vie est loin d’être facile pour lui, d’autant plus qu’il donne le sentiment d’être assez passif. Il évoque sans prendre de gants les détails un peu honteux de son histoire, ses erreurs ou ses doutes. Pourtant pas d’apitoiement, pas d’anticipation non plus sur le reste de l’histoire qui serait extrêmement agaçant. Tout est exposé assez simplement, les discussions à bâtons rompus, sa sexualité, les longs récits des uns et des autres, les évènements plus sombres… de manière à revenir sur cette partie particulière de la vie qui mène à l’âge adulte, qui accepte les traumatismes de l’adolescence et qui permet d’avancer.

J’ai beaucoup aimé lire ce roman, même si l’idée m’a effleurée une ou deux fois que des descriptions un peu moins détaillées n’auraient pas été par me déplaire par moments. Sinon, je n’ai aucun bémol à soulever. Haruki Murakami évoque dans ce roman une période bien précise de la vie d’une personne (avec sans doute un certain nombre d’éléments autobiographique), avec simplicité, honnêteté, et un brin de mélancolie. Cela donne un livre dense, agréable à lire, avec un rythme parfois plus posé, des évènements étonnants, d’autres parfaitement banals, et qui laisse songeur.

XXe siècle

Le Mauvais – Shuichi Yoshida

Couverture - Le mauvais

Shuichi YOSHIDA

Le Mauvais

(traduit du japonais par Gérard Siary et Mieko Nakajima-Siary)

Editions Philippe Picquier, 2014

509 pages

Collection poche

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Présentation de l’éditeur

Par une nuit de neige, une jeune femme est étranglée au col de Mitsuse. L’enquête policière, en cherchant à découvrir la vérité, fait surgir de l’ombre ceux qui l’ont connue, parents, amies, collègues, sans oublier les hommes qu’elle rencontrait, et dans la lumière où ils se tiennent tour à tour, les points de vue divergent, le blanc vire au noir, la victime perd son innocence. Peu à peu se dessinent les liens unissant ce petit monde qui gravitait autour d’elle, et c’est alors que le mauvais n’est plus celui qu’on croit…

S’il est vrai que l’enquête, de révélations en retournements de situation, nous tient sans cesse en haleine, elle sait surtout nous troubler et nous émouvoir, en nous montrant ces êtres si vulnérables à travers leurs mensonges, capables de générosité et de passion malgré leurs petitesses, humainement nourris de bien et de mal.

Mon avis

En vidéo :

Et la version écrite :

On se trouve sur l’île de Kyushu, la grande île au sud du Japon. Le corps d’une jeune femme est retrouvé au col de Mitsuse, une route reliant les villes de Fukuoka et de Saga. Le Mauvais raconte les circonstances qui ont mené au crime et, en parallèle de l’enquête, on va suivre tous les personnages qui sont liés de loin ou de près à la victime.

La victime, c’est Yoshino Ishibashi, une jeune femme courtière en assurance, qui menait une sorte de double vie. Elle avait inventé auprès de ses collègues une relation amoureuse avec Masuo, un étudiant fortuné, alors qu’elle était inscrite sur un site de rencontre et qu’elle pratiquait une forme de prostitution.

Après ce meurtre, on va suivre plusieurs personnages : le père de Yoshino, Yuishi Shimizu, un des hommes que Yoshino fréquentait et qui est donc un des suspects du meurtre, et son entourage. On va donc les suivre jusqu’à la résolution du crime, à savoir l’identification et la capture du coupable.

Si on reste cohérent avec le titre, on pourrait penser que ce sera le mauvais annoncé par le titre, mais le roman est loin d’être aussi manichéen en terme de valeurs morales. L’auteur s’attache à faire le portrait qu’une société sordide, la société japonaise, celle de la province, en tous cas, où la jeunesse doit affronter ses déconvenues, où le cloisonnement social est telle, que pour s’élever, Yoshino va se prostituer occasionnellement, afin de pouvoir s’offrir ce dont elle a envie. C’est une société consumériste, qui mène une vie virtuelle, sur les sites de rencontre notamment, mais dont le quotidien reste minable.

Le mauvais n’est donc pas celui qu’on pense. Rien n’est aussi simple dans ce roman. L’auteur met en scène de nombreux personnages, multipliant ainsi les points de vue, les portraits, nuançant les caractères. Au travers des différents chapitres, les possibilités d’interprétation se multiplient. Il est difficile au lecteur d’adopter une position nette envers les personnages ou leurs actions, puisqu’elles finissent par être contrebalancées. La grand-mère fragile qui se fait racketter par des voyous qui veulent lui vendre des médicaments, on la croit faible, puis elle trouve la force de refuser de payer.

Policier, récit de vie, le genre n’est pas aussi marqué. On retrouve des tendances polar identifié : on a du roman à énigme avec l’enquête et la résolution du crime, on a du roman noir avec ces descriptions de la société provinciale du Japon actuel, on a aussi du suspense. Il n’en reste pas moins que l’auteur fait de cette province japonaise un tableau très réaliste. Il prend les personnages dans leur entier, annonçant les qualités, les défauts, les rêves avortés, les désirs honteux, les culpabilités, brossant leur solitude, leurs déconvenues, la pesanteur de leur vie un peu sordide.

Le Japon est un pays qui me fascine depuis quelques années maintenant. A force de lire des romans ou des mangas, de voir des films ou des dramas, ces séries japonaises, je me suis fait une image du Japon. Je ne dirais pas que ce roman a révolutionné cette vision, mais il l’a complétée, comme ce fut le cas pour les autres romans de Shuichi Yoshida. Ce que j’aime particulièrement chez cet auteur, ce sont les portraits qu’il fait, les personnages qu’il met en scène. Ce ne sont pas des héros, ce sont des gens normaux, avec des qualités, des défauts, qui vivent leur vie, leur quotidien comme ils le peuvent en accord ou pas avec leurs aspirations. J’ai vraiment accroché à ce roman, à ces personnages, à ces descriptions réalistes qui viennent nourrir l’intrigue policière jusqu’à son dénouement.

Si le Japon est un pays qui vous intrigue, si vous avez envie de gouter à l’ambiance provinciale de Kyushu, et si les turpitudes humaines ne vous font pas peur, lisez-le !

ABC thriller polars

Le passage de la nuit – Haruki Murakami

Couverture - Le passage de la nuit

Haruki MURAKAMI

Le passage de la nuit

(traduit de japonais par Hélène Morita et Théodore Morita)

Editions 10-18, 2008

229 pages

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Présentation de l’éditeur

Que se passe-t-il après les douze coups de minuit ? Mari rencontre un musicien dans un bar, sa soeur partage à son insu le sommeil d’un inconnu… Pour les âmes solitaires d’une ville assoupie, les expériences se succèdent, entre fantasmagorie et réalité. Le lecteur, voyeur protégé par l’obscurité, palpe les rêves inquiétants des acteurs de la nuit.

Mon avis

Le narrateur s’introduit dans l’histoire comme pur point de vue. Comme une caméra reliée à une salle de surveillance loin de ce qu’elle filme. Le lecteur est en quelque sorte derrière une télévision dans cette salle et il est impossible pour le narrateur comme pour le lecteur de s’immiscer dans l’histoire et d’agir ou d’influencer les personnages. C’est dans cette perspective que le roman nous est présenté par le narrateur. Et c’est ainsi qu’il nous emmène en différents lieux, le temps d’une nuit, pour suivre plusieurs personnages.

Une horloge marque le passage du temps, le passage de la nuit, avant chaque chapitre, à mesure que les vies de chacun se déroulent. Il y Mari qui lit un gros livre dans un restaurant ouvert toute la nuit pour éviter de rentrer chez elle. Il y a Takahashi, un étudiant musicien qui la reconnait, engage la conversation et s’installe à sa table.  Il y a aussi Kaoru, ancienne catcheuse et gérante de love hotel, ou encore Shirakawa, un employé de bureau qui travaille tard dans la nuit. Et puis, il y a Eri, la soeur de Mari, qui dort sans interruption depuis plusieurs mois, parce qu’elle « n’essaie pas de se réveiller ». Elle dort très paisiblement quand la télévision de sa chambre va s’allumer pour montrer une pièce vide, et y transporter son lit, dans son sommeil…

J’aime beaucoup ce roman. C’est une de mes relectures de la fin du mois d’avril. Je trouve ce roman asse riche et simple tout en étant complexe – contradiction quand tu nous tiens… – je ne sais pas trop comment l’exprimer. On assiste à des choses à la fois très simple, mais peu ordinaires finalement, qui se mêlent et se rejoignent dans une trame plus complexe. J’aime beaucoup le style qui nous livre les actions des personnages d’un point de vue externe, sans entrer dans leurs pensées, et qui les rend leurs conversations ou leurs comportements intéressants. Par exemple, nous avons les longues conversations de Mari et Takahashi, qui partent dans des sujets très divers. C’est amusant parce que Takahashi est un personnage très spontané, il est aussi plutôt bavard, et Mari qui n’a pas très envie de l’écouter ou de lui parler, finit par se laisser gagner par les confidences.

Il y a aussi ce qui arrive à Eri. Murakami parvient avec beaucoup de talent à évoquer, à brosser la possibilité de la présence d’un autre monde ou d’une autre côté. La nuit serait alors une sorte de passage entre les deux, parce que c’est un moment incertain, où l’on hésite entre un jour ou le lendemain.

Il y a donc cet aspect fantastique qui se mêle avec quelque chose de très concret, de très terre à terre qui sont la vie et les drames de chacun. Le roman est assez déroutant, il y a des choses qui ne sont pas expliquées, mais qui ne nécessitent pas d’explication, il me semble. Ce sont des histoires étranges qui se déroulent à la faveur de cette nuit, elles sont parfois très banales, mais elles ne sont pas vraiment dans les normes. On frôle le marginal. L’auteur parvient à rendre ça passionnant et c’est pour cela que j’adore ce livre : sa capacité à envouter le lecteur avec des choses qui sont loin de ce à quoi on est habitué.

Pour conclure, je vous laisse sur une citation qui résume l’ambiance générale de ce roman :

« Un nouveau jour est sur le point d’arriver mais l’ancien porte encore sa lourde traîne. Comme l’eau de mer et l’eau de la rivière affrontent leurs élans à l’embouchure, le nouveau temps et l’ancien temps luttent et se mélangent. Takahashi, lui non plus, ne parvient pas à déterminer clairement de quel côté du monde se situe son centre de gravité. »

1Q84, Livre 1 : Avril-Juin – Haruki Murakami

Couverture - 1Q84 livre 1

Haruki MURAKAMI

1Q84. Livre 1 : Avril-Juin

traduit du japonais par Hélène MORITA

Editions Belfond, 2011.

533 pages

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Présentation de l’éditeur

Le passé – tel qu’il était peut-être – fait surgir sur le miroir l’ombre d’un présent – différent de ce qu’il fut ?

Un évènement éditorial sans précédent.

Une oeuvre hypnotique et troublante

Un roman d’aventures

Une histoire d’amour

Deux êtres unis par un pacte secret

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Dans un monde bien réel de 1984 et dans celui dangereusement séduisant de 1Q84 va se nouer le destin de Tengo et Aomamé…

Mon avis

Haruki Murakami raconte alternativement deux histoires, qui semblent au départ sans lien : il y a d’abord celle d’Aomamé, qui est institutrice en arts martiaux ; et puis celle de Tengo, professeur de mathématiques et écrivain. Ils ont chacun leur métier, chacun leur histoire, chacun leur vie amoureuse, et pourtant tous deux ont des trucs pas très « normaux » qui se passent dans leurs vies. Aomamé est en fait une tueuse professionnelle qui prend pour cible des hommes violents qui brutalisent des femmes, elle les « déplace » grâce à un instrument en forme de pointe très fine, un genre de pic à glace et qui ne laisse aucune trace de l’assassinat. Et Tengo se retrouve à réécrire le manuscrit d’un roman qu’une jeune fille a présenté à un concours pour suivre l’idée de l’éditeur selon lequel ce roman deviendra un best-seller. Ce faisant, il rencontre la jeune auteur et en apprend plus sur sa vie dans la secte des Précurseurs. Son histoire croise celle de révolutionnaires, de terroristes et de Little People.

Les deux histoires se déroulent en parallèle, et au fur et à mesure de l’avancée du roman, les liens se tissent entre les deux personnages et entre leurs deux histoires.Il est aussi agréable de suivre des personnages aux personnalités si différentes. On plonge au coeur de leur subjectivité alors que le narrateur s’efface totalement derrière les pensées et les gestes des protagonistes.

Et puis il y a des évènements diffus, distillés, qui installent comme un doute dans l’esprit d’Aomamé, et l’hypothèse que formule Tengo dans son nouveau roman : le monde dans lequel je vis est-il celui dans lequel je suis né ? S’il y a deux mondes parallèles, comment savoir dans quel monde je me trouve actuellement ?

Autant le dire tout de suite : c’est passionnant ! Il ne se passe pas tellement de chose et on est plus dans la perspective de faire la connaissance avec les personnages et d’appréhender l’étrangeté de leur situation, mais il m’était presque impossible de me décrocher de ma lecture ! Haruki Murakami a un style d’écriture précis et envoutant. Il construit son récit par petites touches, évoquant les souvenirs, les rêves des personnages. Il y a de nombreuses descriptions, mais ça ne rend pas le roman moins intéressant. Ça lui donne un aspect poétique plutôt agréable. On est happé par les choses que l’auteur nous raconte et qui laissent présager beaucoup de choses des deux autres tomes de la série.

Je ne sais pas quand je pourrais lire la suite, mais j’ai hâte !

Le chat dans le cercueil – Mariko Koike

Couverture - Le chat dans le cercueil

Mariko KOIKE

Le chat dans le cercueil (traduit pas Karine Chesneau)

Editions Philippe Picquier, 2002

206 pages

Collection Picquier poche.

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Présentation de l’éditeur

Si Momoko n’ouvre son cœur qu’à sa chatte Lala, son père n’a d’yeux que pour la belle et pulpeuse Chinatsu, au grand dam de la jeune fille au pair : trois habitants d’une même maison dans le Japon d’après-guerre vivent dans un calme apparent, ignorants d’une vérité cachée qui les pousse tous inexorablement vers la tragédie.

Quand la neige recouvrira de silence le jardin et le champ de blé alentour, les non-dits réveilleront ce petit démon intérieur qui appelle au meurtre. Et Lala, sphinx au blanc pelage, pourrait bien alors s’avérer la victime et la clé de ce surprenant suspense psychologique.

Mon avis

Les éditions Picquier ont indiqué sur la couverture qu’il s’agit d’un roman policier, mais je ne suis pas très d’accord avec cette dénomination. Il ne s’agit d’enquête à proprement parler, mais plutôt d’un drame à suspens, un peu thriller, qui va prendre les personnages dans une mécanique implacable. Chaque personnage semble jouer son rôle à la perfection dans la tragédie. Mais du policier ? Non, vraiment, je ne vois pas où il y en a.

Hariu, jeune campagnarde, vingt ans, est engagée par Gôro Kawabuko. Passionnée de peinture, elle rêve d’en faire son métier, mais pour cela elle doit quitter sa famille pour venir à Tokyo. Son employeur est veuf, professeur de peinture à l’université. Il vit dans une maison à l’américaine avec sa fille de huit ans Momoko. Hariu devient alors le professeur particulier de l’enfant. Si le contact est difficile avec la fillette refermée sur elle-même, elle comprend rapidement que la chatte Lala, blanche comme neige, est bien plus qu’un simple animal de compagnie. Hariu apprend alors à vivre avec cette étrange famille et les habitude mondaine de son employeur. Elle devient un peu amoureuse de lui et va jusqu’à s’imaginer la vie qu’il devait avoir avec sa femme. Jusqu’à ce qu’il lui présente Chinatsu. La femme est très élégante, très belle et si elle semble beaucoup plaire à Gôro, Hariu se met à ressentir une terrible jalousie tandis que Momoko reste indifférente à son égard. Au lieu d’expliquer clairement sa relation avec Chinatsu, Gôro laisse le malaise s’installer et les non-dits planer. L’incompréhension entre les deux femmes et l’enfant devient haine quand Lala disparaît. C’est l’élément déclencheur du drame et de ses révélations.

Le roman est admirablement bien écrit. Il s’ouvre sur la vie de Hariu à la cinquantaine, devenue un peintre reconnu. La découverte d’un chat blanc déclenche le récit des évènements tragiques passés. Le lecteur est alors tenu en haleine par des effets d’anticipation qui livrent des détails ou des sentiments sur les évènements à venir tout en dissimulant les faits les plus importants. Difficile alors de ne pas être pris passionnément dans cette histoire lugubre, macabre même, jusqu’à son aboutissement. Le roman se déroule d’abord dans un calme où la tension vient peu à peu s’installer. C’est un thriller psychologique en huis clos, avec passion et jalousie à la clé, remarquablement bien mené. Je ne peux que le conseiller.

Parade – Shuichi Yoshida

Présentation de l’éditeur

Comme à la parade ! Quatre jeunes gens, qui partagent un appartement dans Tôkyô, se racontent à tour de rôle : sa vie, son passé, ses amours, ses travers, ses folies, ses manies, ses secrets. Et lorsqu’un cinquième entre par hasard dans le jeu, son intrusion change la donne et révèle ce qui se trame sous les règles tacites de la communication humaine.

La petite musique de Yoshida Shuichi excelle à décrire ce qui se joue dans le phénomène de la colocation, cette communauté de vies qui est le reflet de la société tout entière. Il s’entend à orchestrer le drame silencieux sous la futilité apparente du monde et nous ramène constamment au mystère de l’autre : celui que nous côtoyons et croyons connaître, celui que nous jouons vis-à-vis d’autrui et de nous-mêmes, entre norme et transgression, peurs et attentes, solidarité et violence.

Mon avis

Parade est un roman inscrit dans le quotidien des personnages. Il y a de nombreux détails sur la musique, les émissions de télé, la nourriture, les lieux, les bars… Dans ce quotidien, on suit cinq personnages à tour de rôle. On pénètre dans leur intimité, leurs pensées. Chaque partie du roman porte le nom de l’un d’eux : Ryosuke d’abord, étudiant qui a une liaison avec la petite amie de son tuteur à l’université ; Koto qui vit dans l’attente de l’appel de son amant, une idole de la télévision ; Mirai dont les deux passions sont boire et dessiner ; Naoki qui travaille dans une boite de production cinématographique et s’efforce de conseiller le mieux qu’il peut ceux qui viennent se confier à lui ; et enfin, Satoru, un jeune prostitué qui a tendance à s’immiscer dans l’intimité des autres à leur insu. Ils partagent tous les cinq le même appartement aux rituels bien établis, et pourtant bouleversé par l’intrusion du dernier.

Il n’y a pas vraiment de conflit qui rendrait ce récit intéressant et attractif par la simple réjouissance de voir les autres s’entredéchirer. On visite tour à tour l’intériorité d’un personnage. On lit ce qu’il pense des autres, ce que les autres pensent de lui, ce qu’il sait et que les autres ne savent pas, leurs hontes, leurs manies, leurs folies. Chacun à sa vie, son caractère, malgré le fait qu’ils vivent tous dans le même appartement. Ils ont une manière bien particulière d’agir devant les autres. Et c’est ce constat qui est aussi intéressant :

« Pour bien vivre ici, il n’y a rien d’autre à faire que d’adopter le moi qui paraît le plus adapté au lieu. […] Le moi qui s’entend bien avec les autres colocataires […], c’est le « moi fait pour cet appartement », à mon sens. Mais il n’est pas impossible que les autres […] se soient eux aussi créé un « moi fait pour cet appartement ». Donc en fait, ils n’existent pas dans cet appartement, en fin de compte personne n’y existe. »

A cause de ce quotidien, on pourrait croire ce roman superficiel ou lassant, mais c’est tout le contraire. J’ai lu sans me rendre compte ou presque que je tournai les pages. On plonge avec facilité dans l’intériorité de chaque personnage. Le style de l’auteur est fluide et parvient à poser le doigt de manière juste sur le fond du problème, quand le personnage en est conscient, ou à exprimer les doutes, les incertitudes, les tâtonnements. Parade en devient un roman passionnant sur la société japonaise et sur la place de l’individu face aux autres (et plus précisément dans la colocation).

En bref, un très bon roman, en plus attractif par sa couverture, malheureusement pas assez connu et que je conseille grandement !

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Yuichi YOSHIDA. Parade. Traduit du japonais par Gérard Siary et Mieko Nakajima-Siary. Editions Philippe Picquier, 2010. 315 pages.