Robert MERLE
La Mort est mon métier
Editions Folio, 2006
369 pages
Présentation de l’éditeur
Le Reichsführer Himmler bougea la tête, et le bas de son visage s’éclaira…
– Le Führer, dit-il d’une voix nette, a ordonné la solution définitive du problème juif en Europe.
Il fit une pause et ajouta :
– Vous avez été choisi pour exécuter cette tâche.
Je le regardai. Il dit sèchement :
– Vous avez l’air effaré. Pourtant, l’idée d’en finir avec les Juifs n’est pas neuve.
– Nein, Herr Reichsführer. Je suis seulement étonné que ce soit moi qu’on ait choisi…
A qui puis-je dédier ce livre, sinon aux victimes de ceux pour qui la Mort est un Métier.
Robert Merle raconte dans ce roman la vie de Rudolf Lang, un homme allemand né en 1900, qui a fait la guerre très jeune et qui a été un fervent « serviteur » de la dictature nazie. On le voit jeune, subir la présence de son père, un allemand fier de son pays, très chrétien, très strict, faisant régner une discipline de fer. C’est cette discipline qui lui permet de grimper quelques échelons dans la hiérarchie de l’armée pendant la Première Guerre mondiale. On voit éclore ses convictions extrémistes alors qu’il subit le chômage après la défaite de l’Allemagne, on le voit se relever en adhérant au parti nazi qui va tout de suite comprendre son potentiel et l’exploiter. Rudolf Lang a vraiment existé, il s’appelait Rudolf Hoess et il a été le commandant du camp d’Auschwitz.
Robert Merle a construit son roman à partir de la retranscription d’un entretien d’un psychologue avec cet homme au moment du procès de Nuremberg. Il a comblé les trous de sa biographie en romançant et en imaginant sa vie. Il s’est aussi beaucoup documenté sur ce qui s’est passé à Auschwitz, et sur ce qui a amené les nazis à construire les camps de cette façon.
Il est très intéressant d’avoir cette édition, avec la préface de Robert Merle, écrite en 1972, vingt ans après la première publication du roman. Elle permet de remettre ce roman dans son contexte : en 1952, l’horreur des camps avait déjà été évacuée, devant des impératifs politiques. Il avait beau être « démodé » quand il a été publié, ce roman mérite d’être toujours lu. Il est diablement efficace et parvient parfaitement à rendre compte de l’horreur de ce que ça a été dans les camps. C’est d’ailleurs pire quand on a le point de vue du bourreau – un bourreau qui est un rouage particulièrement zélé et discipliné -, quand on voit le processus de construction d’une telle machine de guerre.
Ce portrait, cette histoire sont glaçants. Par bien des aspects, c’était plus horrible que tout ce que j’avais déjà pu lire ou voir sur les camps de concentration. Est-ce que je le conseille ? Disons que si ce genre de récit vous intéresse, avec ce point de vue si proche de l’horreur, oui, allez-y.
Pour conclure sur ce roman, un dernier mot de la part de l’auteur, extrait de la préface de 1972 :
« Il y a eu sous le Nazisme des centaines, des milliers de Rudolf Lang, moraux à l’intérieur de l’immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs « mérites » portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l’impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l’ordre, par respect pour l’Etat. Bref, en homme de devoir : et c’est en cela justement qu’il est monstrueux. »