No Angel – Jay Dobyns

Jay DOBYNS et Nils JOHNSON-SHELTON
No Angel. Mon voyage épuisant d’agent infiltré au sein des Hells Angels
(traduit par Daniel Lemoine)
Editions 13e Note, 2010
511 pages

Présentation de l’éditeur

Une histoire vraie, un flic infiltré chez les Hells Angels.

« – Deux ou trois choses. Premièrement : si tu veux abattre quelqu’un, tire dans la tête. Deuxièmement : si tu pointes un fusil sur moi, t’as intérêt à avoir l’intention de t’en servir. Et, troisièmement : je t’emmerde, tire tout de suite, sinon je te tabasse avec ton flingue puis je t’encule sur le capot de ma voiture. »


No Angels raconte comment Jay « Bird » Dobyns, flic au Bureau « Tabacco, Alcool and Firearms », a pris part à une opération d’infiltration des Hells Angels, ce groupe de motards marginaux et violents. Ce n’est pas son premier travail d’infiltration. Il s’est déjà construit un personnage, et sous le pseudonyme de Bird, il vend et achète des armes, a un passé de toxicomane et a intégré un club de motards, les « Solos Angeles ».

 Avec d’autres policiers et un informateur, il entre en contact avec les Hells Angels d’Arizona afin d’amasser des preuves contre eux pour pouvoir les inculper devant un tribunal. Jay Dobyns nous raconte alors cette mission, et toutes les relations qu’il lie avec des Hells Angels à travers son personnage de Bird. A travers son récit, il décrit à la fois le fonctionnement de ces gangs et des valeurs parfois paradoxales qui les composent, et ce que vit un flic infiltré. Les Hells Angels sont un groupe marginal très structuré avec des règles très strictes pour intégrer le gang, tout en représentant la liberté et la solidarité. La mission d’infiltration est aussi très éprouvante pour l’auteur. Il doit assister à des choses avec un sentiment tout en en montrant un autre, il ne peut pas agir comme il le voulait. Comme les Hells Angels l’aiment bien, ils le sollicitent et l’impliquent de plus en plus dans leurs affaires, tandis que lui les côtoient avec des sentiments contradictoires – appréciant certaines qualités de ces hommes tout en restant conscient de ce dont ils sont capables.

Tout cela est très bien raconté par l’auteur qui arrive à embarquer son lecteur dans ce tourbillon qui l’a embarqué lui. Cet univers – tant celui des Hells Angels que celui des agents infiltrés – est très fascinant. Jay Dobyns a été lessivé par cette mission et on sent bien la tension qui finit par apparaître au fil des pages. Ses propos sont très francs, il ne fait pas de bons sentiments, témoignant simplement et avec force de son métier et de son expérience.

Je ne suis pas sûre que ce roman soit toujours disponible – sa maison d’édition n’existant plus – ce qui m’interroge d’ailleurs sur l’intérêt de cette chronique. Mais sait-on jamais ? En tous cas, j’ai beaucoup aimé cette lecture et cette autobiographie m’a bien intéressée.

Pseudo – Emile Ajar (alias Romain Gary)

Couverture - Pseudo

Emile AJAR//Romain GARY

Pseudo

Editions Folio, 2004

première édition au Mercure de France e, 1976

223 pages

Présentation de l’éditeur

Après avoir signé plusieurs centaines de fois, si bien que la moquette de ma piaule était recouverte de feuilles blanches avec mon pseudo qui rampait partout, je fus pris d’une peur atroce : la signature devenait de plus en plus ferme, de plus en plus elle-même pareille, identique, telle quelle, de plus en plus fixe. Il était là. Quelqu’un, une identité, un piège à vie, une présence d’absence, une infirmité, une difformité, une mutilation, qui prenait possession, qui devenait moi. Émile Ajar.
Je m’étais incarné.

Mon avis

J’ai repoussé un moment l’écriture de cette chronique vu la confusion dans laquelle il m’a plongée. Tout ce livre tourne autour de la question de l’identité, de ce qui la constitue et de ce que ça suppose pour un écrivain qui ne souhaite pas s’exposer et qui utilise un pseudonyme. La narration est traversée par une paranoïa omniprésente, la schizophrénie et de nombreux troubles névrotiques. Le personnage essaie sans cesse de brouiller les pistes entre son nom réel et ses divers pseudo. Le narrateur est Paul Pavlowitch qui vit un certain nombre de séjour en hôpital psychiatrique et l’écriture de ses romans, Gros Câlin et La vie devant soi, pour lesquels il devra rencontrer son éditrice pour la signature du contrat, et les spéculations sur sa vraie identité alors qu’il est nominé pour le prix Goncourt.

Pour rappel, Romain Gary a écrit 4 romans sous le pseudonyme Emile Ajar. Et il avait fait incarné ce nom par son neveu, Paul Pavlowitch, le faisant passer pour le véritable auteur de ces livres. C’est ainsi qu’il a reçu le Goncourt pour La vie devant soi. C’est seulement après la mort de Gary (il s’est suicidé) que l’on a découvert que c’était lui qui avait écrit ces romans.

J’ai ressenti à la fois des difficultés et de la fascination à lire ce livre. Il n’y a pas vraiment d’intrigue, et c’est parfois compliqué de suivre tous les délires angoissés et paranoïaques du narrateur, entre contradiction et autre paradoxes. Je n’ai donc pas d’avis à formuler, à part ma confusion, sur cette lecture.

XXe siècle

Les passagers de l’Anna C. – Laura Alcoba

Couverture - Les passagers de l'Anna C.

Laura ALCOBA

Les passagers de l' »Anna C ».

Éditions Gallimard, 2011

219 pages

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Présentation de l’éditeur

« Lors de notre traversée de l’Atlantique à bord de l’Anna C., je devais avoir un peu plus d’un mois. Je ne sais pas quel nom je portais à l’époque – mes parents ne s’accordent pas sur la question, comme sur tant d’autres choses. »

Au milieu des années 1960, une poignée de jeunes Argentins quittent clandestinement leur pays pour s’embarquer dans un périple qui doit leur permettre de rejoindre le Che Guevara. Ils sont prêts à donner leur vie pour qu’advienne la Révolution.

Laura Alcoba a composé ce roman à partir des souvenirs des rares survivants de cet incroyable voyage, dont ses parents faisaient partie au cours duquel elle est née.

Mon avis

Laura Alcoba est née en 1968, à Cuba, de parents révolutionnaires Argentins. Dans Le bleu des abeilles, elle raconte son arrivée en France pour rejoindre sa mère exilée, son propre exil, loin de son père en prison, son intégration dans une école française et dans une ville française.

Les passagers de l’Anna C. raconte l’histoire de sa naissance : la rencontre de ses parents, le voyage qui les a mené à Cuba pendant un an et demi, et puis le trajet de retour, à bord de l’Anna C., un paquebot qui reliait Gênes, en Italie, au Brésil.

La première partie du roman – très courte – montre l’auteur recueillant les souvenirs de ses parents, les difficultés qu’elle a à dépasser le secret qui entoure la vie de ses parents pour faire le jour sur l’épopée qu’ils ont vécu : partis de Buenos Aires, ils ont rejoint Paris en avion, puis Prague et La Havane, où ils demeurent pendant un an et demi. Et le retour : de La Havane à Prague, puis à Gênes où ils embarquent pour atteindre les côtes de l’Amérique du Sud. Manuel et Soledad – ce sont leurs prénoms – voyagent avec un groupe d’apprentis révolutionnaires pour suivre une formation de guérilleros dans l’espoir de rejoindre Che Guevara en Colombie dans son combat contre l’impérialisme américain.

Laura Alcoba a un style clair, précis, fluide. Elle manie aussi bien le doute que les certitudes, jonglant à la fois avec ce qui s’est passé, ce qui aurait pu se passer, ce qui ne s’est pas passé et ce qui s’est peut-être passé. Elle adopte une écriture qui comble les lacunes de la mémoire en les exposant, les expliquant, en explorant plusieurs possibilités, pour rendre compte de tout ce que sous-entend la défaillance du souvenir. Elle effectue un travail sur la mémoire : il s’agit de l’histoire de ses parents, de sa propre histoire. Mais ça reste une histoire qui parle à tout le monde. On a autant un bon aperçut de ce que la vie à Cuba a pu être à ce moment-là que des motivations et des espoirs qui les transportaient. On assiste également aux désillusions de cette jeune génération d’idéalistes.

J’ai beaucoup aimé ce roman. Après Le bleu des abeilles, j’ai retrouvé avec un grand plaisir son style et sa façon de raconter les histoires. Je le conseille si la Révolution cubaine vous intrigue ou si vous êtes curieux de cette époque. C’est un roman assez court, qui se lit bien et qui est bien écrit.

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Lambeaux – Charles Juliet

Couverture - Lambeaux

Charles JULIET

Lambeaux

Éditions Folio, 1997

155 pages

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Présentation de l’éditeur

Dans cet ouvrage, l’auteur a voulu célébrer ses deux mères : l’esseulée et la vaillante, l’étouffée et la valeureuse, la jetée-dans-la-fosse et la toute-donnée.

La première, celle qui lui a donné le jour, une paysanne, à la suite d’un amour malheureux, d’un mariage qui l’a déçue, puis quatre maternités rapprochées, a sombré sans une profonde dépression. Hospitalisée un mois après la naissance de son dernier enfant, elle est morte huit ans plus tard dans d’atroces conditions. La seconde, mère d’une famille nombreuse, elle aussi paysanne, a recueilli cet enfant et l’a élevé comme s’il avait été son fils.

Après avoir évoqué ces deux émouvantes figures, l’auteur relate succinctement son parcours : l’enfance paysanne, l’école d’enfants de troupe, puis les premières tentatives d’écritures. Ce faisant, il nous raconte la naissance à soi-même d’un homme qui, a la faveur d’un long cheminement, est parvenu à triompher de  » la détresse impensable  » dont il était prisonnier. Voilà pourquoi Lambeaux est avant tout un livre d’espoir.

Mon avis

Ce récit est celui de l’auteur, et celui de ses mères : celle qui l’a mis au monde mais dont il a été séparé très jeune créant un traumatisme dont l’auteur se remettra difficilement ; et celle qui l’a accueilli, qui lui a offert son amour et son affection malgré le fait qu’il ne soit pas son vrai fils.

Cela commence comme une lettre posthume à cette mère qu’il n’a pas connu. Utilisant le « tu », s’adressant directement à elle, il reconstruit ce qu’à du être sa vie : l’enfance dans une famille avec un père silencieux et oppressant, l’envie d’apprendre, la soif de connaissance, le besoin de lire et d’écrire qui ne sera jamais satisfait dans un milieu paysan pauvre et fermé, les rêves d’adolescente, le premier amour pour un jeune homme qui décède de la tuberculose, puis le mariage avec un homme simple, paysan lui aussi et peu présent, la naissance des enfants. L’isolement et la solitude apporteront la dépression, maladie encore peu connue et certainement pas traitée à l’époque. Elle finit dans une clinique psychiatrique dans laquelle elle connaîtra un sort terrible alors que la Seconde Guerre mondiale fait mourir de faim les malades.

La deuxième parle de l’auteur, de son enfance dans sa famille adoptive, paysanne elle aussi, où il a été accepté comme un fils, où il allait garder les vaches, terrifié par le fait de quitter sa mère adoptive, de la laisser hors de son champ de vision. A douze ans, il est envoyé dans une école d’enfant de troupe, ce qui, malgré la discipline militaire, lui permet de faire des études, d’accéder finalement au monde de la littérature. Le besoin d’écrire, toujours présent, devient impérieux et s’alimente alors à de nouvelles sources. Ecrire lui permet petit à petit de se trouver, de combattre le traumatisme, de savoir qui il est et d’atteindre une certaine sérénité.

Charles Juliet manie une écriture du mot juste, poignante, subtile et délicate, intime, mais sans épanchement égoïste. Il y a beaucoup de malheur et de tristesse dans ce livre. Mais l’auteur en parle simplement, sans dramatisation. Et finalement, pointe un signe d’apaisement. Lambeaux fait sans aucun doute partie des récit inoubliables qui apportent par leur poésie et leur humanité beaucoup à leurs lecteurs.

Chales JulietUn petit mot sur l’auteur, que j’ai eu la chance de rencontrer et d’écouter lors notamment d’une conférence. Il a gagné cette année le Goncourt de la poésie. Pour un vieil homme de presque 80 ans, et au vu de ce qu’il laisse entrevoir de lui dans ce récit, il semble avoir trouvé son équilibre et il parle à merveille de l’écriture, de l’intériorité et de la connaissance de soi.

XXe siècle