Le Camp des morts – Craig Johnson

 

 

 

Craig JOHNSON
Le Camp des morts (traduit par  Sophie Aslanides)
Editions Gallmeister, 2012
375 pages
Collection Totem

Présentation de l’éditeur

Lorsque le corps de Mari Baroja est découvert à la maison de retraite de Durant, le shérif Longmire se trouve embarqué dans une enquête qui le ramène cinquante ans en arrière. Il se plonge alors dans le passé mystérieux de cette femme et dans celui de son mentor, le légendaire shérif Connally. Tandis que résonne l’histoire douloureuse de la victime, d’autres meurtres viennent jalonner l’enquête. Aidé par son ami de toujours, l’Indien Henri Standing Bear, le shérif mélancolique et désabusé se lance à la poursuite de l’assassin à travers les Hautes Plaines enneigées.

Le deuxième volet des aventures de Walt Logmire nous entraîne au coeur d’une violence tapie dans les paysages magnifiques du Wyoming.


Le shérif Walt Longmire est toujours secoué par ce qu’il a vécu dans sa dernière enquête (voir Little Bird)  quand un nouvel évènement vient ébranler Durant. L’ancien shérif, le mentor de Longmire, crée un mouvement de panique à la maison de retraite quand il exige l’ouverture d’une enquête et une autopsie sur le corps de Mari Baroja. La vieille femme semble avoir succombé à une mort naturelle, mais Lucian est persuadé du contraire. Walt Longmire décide alors de faire confiance à l’ancien shérif et plonge dans le passé de la victime. L’enquête se complexifie alors même que la neige tombe sans arrêt et que le blizzard menace.

Après la découverte de Little Bird, je me suis replongée avec grand plaisir dans une enquête du shérif Walt Longmire, et l’ai lu en une petite journée seulement lors du dernier Weekend à 1000. On a de tout dans cette enquête : une vieille histoire d’amour, un mariage abusif, un héritage, une longue poursuite dans la neige, et bien sûr une accumulation de meurtres qui confirme la suspicion de l’ancien shérif quant à la mort de Mari Baroja. L’intrigue est finalement assez complexe et plonge ses racines dans l’histoire locale, dans laquelle Longmire va devoir fouiller, bon gré mal gré.

A cela s’ajoute la vie personnelle du shérif. Il est plutôt désabusé de nature, mais sa dernière aventure l’a rendu d’autant plus amer. Heureusement, il est bien entouré, entre Vic, son adjointe, son ami Henry ou encore sa fille. Il a aussi récupéré un chien qui le suit partout comme son ombre. Il ne manque pas d’humour, est un brin cynique, mais cela ne l’empêche pas d’avoir beaucoup d’affection pour son petit monde. Vous l’aurez compris : j’aime beaucoup ce personnage en apparence bourru, mais qui possède un bon sens de l’autodérision et une finesse certaine quand il s’agit de gérer ses contemporains.

Dans cette atmosphère de neige à la violence feutrée qui éclate comme des gouttes de sang sur le blanc immaculé (je me sens poète aujourd’hui), je n’ai pas vu le temps passer, et je n’ai qu’une hâte : retrouver le shérif dans un autre roman de Craig Johnson. Une très bonne lecture !

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La Dernière frontière – Howard Fast

Howard FAST
La Dernière frontière (traduit par Catherine de Palaminy)
Editions Gallmeister, 2014
304 pages
Collection Totem

Présentation de l’éditeur

1878. Les Indiens cheyennes sont chassés des Grandes Plaines et parqués en Territoire indien, aujourd’hui l’Oklahoma. Dans cette région aride du Far West, les Cheyennes assistent, impuissants, à l’extinction programmée de leur peuple. Jusqu’à ce que trois cents d’entre eux, hommes, femmes, enfants, décident de s’enfuir pour retrouver leur terre sacrée des Black Hills. À leur poursuite, soldats et civils arpentent un pays déjà relié par les chemins de fer et les lignes télégraphiques. Et tentent à tout prix d’empêcher cet exode, ultime sursaut d’une nation prête à tout pour retrouver liberté et dignité.

La Dernière frontière est l’un des plus grands livres consacrés à la question indienne : tout un chapitre de l’histoire américaine défile ici au rythme haletant d’un film sur grand écran.


1878. Les Cheyennes ont été chassés de leur terre ancestrale et ont été parqués dans le Territoire indien, une réserve de l’Oklahoma, où ils se meurent, de faim et de maladies. L’agence qui gère ce territoire ne reçoit pas assez de subventions pour nourrir tous les hommes et toutes les femmes qui lui sont confiées. Un jour, trois hommes s’enfuient. C’est le début d’une crise qui va complètement dépasser et l’agence et le régiment de l’armée stationnée dans le région. Alors qu’on leur impose de livrer 10 hommes en otage en attendant que les trois hommes soient capturés, Little Wolf et Dull Knife, les deux chefs cheyennes vieillissants, décident de partir pour un dernier voyage. La tribu s’enfuit vers le Nord et la traque commence. Celle-ci nous est racontée du point de vue des chasseurs : militaires ou civils qui se sont lancés sur les traces de la tribu. Marche pénible, escarmouches, fuites dans la nuit… les Cheyennes se défendent et toujours avancent obstinément vers leur but.

Cette histoire s’est vraiment passée. C’est l’auteur qui, en ayant eu un écho de cet évènement, a mené des recherches dans les journaux de l’époque qui en ont parlé. Avoir le point de vue des poursuivants et des civils qui ont été informés par les journaux est assez amusant. Et plutôt triste aussi. Les journaux ont colporté des rumeurs de massacres et de pillages, alimentant le spectre d’une nouvelle guerre indienne alors que celles-ci semblaient bel et bien terminées. Ça en dit beaucoup sur l’époque à laquelle se déroule le roman, sur les mentalités et sur l’incompréhension totale entre les tribus indiennes et l’américain moyen.

J’ai adoré ce roman. Ce fut une histoire terrible et le roman retransmet parfaitement toutes les questions que cela soulève. L’auteur est critique par rapport à la gestion de cette traque, tant par les autorités que par l’armée ou la presse. Le roman est fouillé, son ancrage historique est très réaliste et il est porteur d’un vrai souffle épique. L’ambiance western est quelque chose qui me plaît particulièrement, et en lisant ce roman, je me figurais des images comme on peut les voir dans certains films sur ce thème, depuis Little Big Man jusqu’à Danse avec les loups.

Je ne m’attendais pas à lire ce roman aussi facilement, j’avais un mauvais a priori peut-être à cause du souvenir très moyen que j’avais de Smoky, le dernier roman « western » que j’ai lu. J’ai donc été très agréablement surprise. J’ai lu ce roman en une petite journée et je suis complètement emballée par ce que j’ai lu. C’est bien écrit, entraînant et passionnant. Il y a des passages qui sont révoltants, mais cette obstination, cette volonté de retrouver sa liberté, quitte à en mourir, m’a beaucoup touchée et c’est sûrement ce que j’ai le plus aimé. La Dernière frontière est un très beau roman sur la question indienne et je vous le recommande, que le sujet vous intéresse ou pas.

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Exécutions à Victory – S. Craig Zahler

S. Craig ZAHLER

Exécutions à Victory (Traduit par Sophie Aslanides)

Editions Gallmeister, 2015

468 pages

Collection Néonoir

Présentation de l’éditeur

Après un échange bref et brutal avec un flic de l’Arizona, un homme d’affaires se suicide. La sanction tombe aussitôt. Jules Bettinger, le flic désobligeant mais très décoré, est muté avec femme et enfants dans un trou perdu. A Victory, dans le Missouri. Là des pigeons morts jonchent les rues et on dénombre plus de sept cent criminels pour un policier. Bientôt, dans cette ville glaciale, ce ne sont pourtant pas des pigeons mais des cadavres mutilés que Bettinger va ramasser à la pelle.


Jules Bettinger aurait dû faire preuve de plus de tact quand cet homme est venu lui parler de la disparition de sa très jeune petite amie avec un paquet d’argent sous le bras. Le suicide est brutal, tout comme la mutation à Victory, Missouri. Au delà du fait qu’il y fasse froid – chose que Bettinger déteste -, les statistiques de la criminalité sont affolantes : on dénombre 1 flic pour 700 criminels. Jules se met au travail, affublé d’un nouveau partenaire, Dominic Williams, policier rétrogradé pour avoir tabassé un suspect. L’arrivée de Bettinger bouscule un peu les habitudes du commissariat, et notamment celles de son coéquipier qui n’apprécie ni ses méthodes, ni sa façon de fouiner dans des affaires qui ne le concernent pas. Puis, deux jours après l’arrivée de Bettinger, c’est l’hécatombe et des attaques se multiplient en ville.

Exécutions à Victory se passe dans cette frange des USA où la loi a tellement peu d’effet que se pose la question, pour les policiers : comment faire son métier efficacement sans pencher vers l’illégalité ? Ce roman montre le moment où la question ne se pose plus puisque la survie devient le seul impératif.

L’auteur pose un fabuleux décor pour son récit noir et violent. Victory est une ville glaciale, miséreuse, avec des quartiers délabrés voire abandonnés qui sont devenus des zones de non droit. Il y a ces cadavres de pigeons qui tombent du ciel, et on y hait la police. L’ambiance est donc sombre comme il faut, glauque et pesante à souhait.

J’ai beaucoup aimé le personnage de Jules Bettinger. Il est blasé, cynique, a une bonne répartie et l’ironie facile. Le sarcasme et l’humour noir sont bien sûr au rendez-vous, dans des dialogues finement ciselés. L’écriture est efficace et embarque son lecteur pour le plonger dans Victory, son ambiance, puis l’action se fait haletante jusqu’à son dénouement. Il y a aussi un côté réaliste qui fait que cette histoire paraît très plausible, que ce soit dans la description de la ville ou les portraits de personnages.

Vu tous les points soulevés dans le paragraphe précédent, on pourrait penser que je sois très enthousiaste à cette lecture. Mais ce n’est pas vraiment le cas. J’ai plutôt été dérangée par l’histoire de Victory et les évènements qui la secouent. Le livre n’est pas mauvais, mais j’ai moins bien supporté les descriptions glauques des horreurs qui sont exécutées. J’ai d’ailleurs été plutôt étonnée de voir que c’était peu soulevé dans les chroniques, c’était donc peut-être un ressenti très personnel par rapport à cette histoire. Le livre n’est pas mauvais en soi, c’est un bon polar, très violent quand même, à l’aune de son contexte et de cette ville, Victory, et malgré le personnage, malgré les dialogues, malgré tous ces éléments qui font d’ordinaire les polars que j’aime, c’était plus dérangeant pour moi que jubilatoire.

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Little Bird – Craig Johnson

Couverture - Little Bird

Craig JOHNSON

Little Bird

Editions Gallmeister, 2011

422 pages

Collection Totem

Présentation de l’éditeur

Après 24 années au bureau du shérif du comté d’Absaroka, Walt Longmire aspire à finir sa carrière en paix. Ses espoirss’envolent quand on découvre le corps de Cody Pritchard près de la réserve indienne. Deux ans auparavant, Cody avait été un des quatre adolescents condamnés avec sursis pour le viol d’une jeune indienne, un jugement qui avait avivé les tensions entre les deux communautés. Aujourd’hui, il semble que quelqu’un cherche à venger la jeune fille. Alors que se prépare un violent blizzard, Walt devra parcourir les vastes étendues du Wyoming sur la piste d’un assassin déterminé à parvenir à ses fins.

Avec ce premier volet des aventures du shérif mélancolique et désabusé, Walt Longmire, Craig Johnson s’impose d’emblée parmi les grands.

Mon avis

Le procès de ces quatre adolescents pour le viol de Melissa Little Bird, une jeune indienne handicapée mentale, a secoué la communauté de l’Absaroka, d’autant plus qu’ils s’en sont sortis. Deux ans plus tard, quelqu’un semble vouloir faire vengeance lui-même pour ce crime. Les soupçons se portent tout de suite vers la communauté indienne, en lien avec une certaine arme, une carabine historique.

Le contexte, la nature du Wyoming en plein hiver, est époustouflant, pourtant ce n’est pas le centre de cette histoire. Le centre, c’est bien sûr l’enquête sur les meurtres, et surtout la vie et la personnalité de Walt Longmire. Voilà un personnage attachant et charismatique comme je les aime ! Il fait de l’humour, un peu foireux parfois. Il est un peu dépressif. Sa femme est morte il y a quelques années, et il pense de nouveau à rencontrer d’autres personnes. Sa fille vit loin du Wyoming et pense à lui. Il entretient une longue amitié avec Henry Standing Bear, un indien qui le seconde dans son enquête et le met en contact avec les gens de la réserve. Longmire est donc un personnage avec ses qualités et ses faiblesses que l’on aime suivre. C’est un personnage qui pense et réfléchit beaucoup, et qui préfère laisser de côté l’action, même s’il est tout à fait capable d’agir, de tirer avec une arme et de se faire respecter par ses concitoyens et subordonnés.

L’intrigue se déroule à son rythme, abordant tour à tour le cas des armes à feu dans cet Etat où tout le monde chasse et pêche, les liens compliqués entre la communauté blanche et la communauté amérindienne, et puis les croyances et des mythes indiens. Le tout reste très bien mené puisque le doute persiste longtemps quant à l’identité du coupable. Le style est aussi très agréable et le roman se lit sans accroche, entre descriptions de paysages, portraits de personnages étonnants et réalistes et intériorisation du narrateur.

J’ai beaucoup aimé suivre ce roman, et c’est un auteur, et un personnage, que je suivrai volontiers dans d’autres enquêtes. J’ai tenté de regarder la série télé qui a été adapté de ce roman, mais je n’ai pas dépassé les 10 premières minutes. Ca ne m’a pas plu, mais je ne saurai pas vraiment expliquer pourquoi. Je m’en tiendrai donc aux romans avec grand plaisir !

ABC thriller polars

Sukkwan Island – David Vann

Couverture - Sukkwan Island

David VANN

Sukkwan Island (traduit par Laura Derajinski)

Editions Gallmeister, 2013

199 pages

Collection Totem

Présentation de l’éditeur

Une île sauvage du Sud de l’Alaska, accessible uniquement par bateau ou par hydravion, tout en forêts humides et montagnes escarpées. C’est dans ce décor que Jim décide d’emmener son fils de treize ans pour y vivre dans une cabane isolée, une année durant. Après une succession d’échecs personnels, il voit là l’occasion de prendre un nouveau départ et de renouer avec ce garçon qu’il connaît si mal. Mais la rigueur de cette vie et les défaillances du père ne tardent pas à transformer ce séjour en cauchemar, et la situation devient vite incontrôlable. Jusqu’au drame violent et imprévisible qui scellera leur destin.

Couronné par le prix Médicis étranger en 2010, Sukkwan Island est un livre inoubliable qui nous entraîne au coeur des ténèbres de l’âme humaine.

Mon avis

Il y a pour moi deux façons de considérer ce livre, une très subjective dans laquelle mon avis est assez tranché et irrémédiable, une autre dans laquelle je tente de laisser mes sentiments de côté pour le considérer de manière plus objective et de m’appuyer sur des éléments concrets et nettement définissables pour en formuler une critique constructive.

Autant mettre les choses au clair tout de suite : je n’ai pas du tout aimé ce roman. Je me suis graduellement énervée au cours de ma lecture, jusqu’à me faire désespérer d’en tirer un seul point positif. J’y ai trouvé des lieux communs : l’homme et son obsession pour les Femmes (je mets volontairement une majuscule, comme une sorte de représentation universellement acquise de la Femme, sans laquelle l’homme est incapable de vivre mais qui ne lui permet pas de vivre bien et de s’accomplir), le père irrémédiablement foireux et merdique, la recherche de la rédemption impossible qui vire à la folie et l’horreur… Si certains peuvent aimer ce traitement des turpitudes humaines, ce n’est pas mon cas, où en tous cas pas comme il est fait dans ce roman-là.

Et puis c’est évident depuis le début, les 10 premières pages mêmes, que ça va mal se finir. C’est peut-être qu’il y a dans ma famille une culture de la vie dans la nature, loin des civilisations, ou en tous cas une idée de comment il faut bien faire les choses, alimentée par des lectures de récit de voyages extrêmes ou d’aventures à la Jack London. Alors quand on commence à lire l’histoire d’un homme, américain moyen, qui s’imagine, parce qu’il connaît un peu la pêche et la chasse, qu’il peut vivre pendant un an en pleine nature, sans prendre un minimum de précaution et en y embarquant son fils, on crie à la stupidité et à l’irresponsabilité. Certes, c’est aussi ce que veut raconter l’auteur : la relation père-fils, le père qui échoue tout le temps et le fils qui le soutient et l’aime malgré tout. Mais ça fout en rogne.

Et la fin, mon dieu cette fin ! A quoi bon ? Ça m’a toujours sembler délicat d’écrire une conclusion à un roman, d’autant plus quand celui-ci aborde l’horreur, la douleur, la culpabilité, la descente aux enfers comme le fait celui-ci. Ok, elle ne laisse aucun espoir. Mais, ça aurait pu encore passer sans cette longue accumulation de tentatives avortées ou échouées pour améliorer la situation, sans cette spirale de récriminations et de malheurs qui vire à l’absurde. J’y ai plus vu de la surenchère qu’autre chose et ça a contribué à mon sentiment d’aversion générale.

Bref, j’arrête là ce point de vue subjectif de peur de m’embarquer dans quelque discours virulent s’éloignant trop de ce qu’est le roman.

Je ne l’aime donc pas, mais ce n’est pas pour autant qu’il est mauvais. Il suffit de chercher un peu sur la blogosphère pour y trouver nombre de critiques positives et emballées. Essayons donc objectivement de souligner certaines de ces qualités en oubliant l’appréciation personnelle.

Sukkwan Island est donc une île sur laquelle un homme et son fils vont s’isoler pendant un an pour vivre une aventure au beau milieu de la nature et pour tenter de mieux se connaître. Mais le père est un personnage instable, névrosé, supportant mal la solitude, pas du tout préparé à une vie en pleine nature et potentiellement dangereuse. Le tête à tête va donc devenir de plus en plus angoissant, se resserrant autour des personnages, laissant une pression énorme sur les épaules du fils désemparé, jusqu’au drame.

L’auteur s’attache à présenter l’homme, à travers le personnage du père, sous son jour le moins favorable, à présenter sa noirceur de manière très froide. C’est sordide, terrifiant, révulsant, mais crée peu d’émotion et donne presque l’impression (là, c’est la partie subjective qui émerge de nouveau) que c’est offert gratuitement et crument par l’auteur. Par contre, c’est bien écrit, froidement, et objectivement et fera certainement résonner d’autres situations rencontrées dans d’autres livres ou des films.

J’ai déjà exprimé mes sentiments sur ce roman, mais si tout ça vous intrigue, vous aurez peut-être une chance d’aimer et de vous laisser fasciner. A lire toutefois dans une période de grande félicité.

Animaux solitaires – Bruce Holbert

Couverture - Animaux solitaires

Bruce HOLBERT

Animaux solitaires (traduit par Jean-Paul Gratias)

Editions Gallmeister, 2013.

324 pages

Collection Noire

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Présentation de l’éditeur

Comté de l’Okanogan, Etat de Washington, 1932. Russel Strawl, ancien officier de police pour le compte de l’armée, reprend du service pour participer à la traque d’un tueur laissant dans son sillage des cadavres d’Indiens  minutieusement mutilés. Ses recherches l’entraînent au coeur des plus sauvages vallées de l’Ouest, là où les hommes qui pas de sang sur les mains sont rares et où le progrès n’a pas encore eu raison de la barbarie. De vieilles connaissances croisent sa route, sinistres échos d’une vie qu’il avait laissé derrière lui, tandis que se révèlent petit à petit les noirs mystères qui entourent le passé du policier et de sa famille.

A l’instar des romans de Cormac McCarthy, Animaux solitaires mêle avec brio les codes du western et ceux des grands romans noirs. Un premier roman remarquable dont on ne pourra oublier le héros mélancolique qui rêve d’imposer sa justice au confins de la civilisation. Quel que soit le prix à payer.

Mon avis

J’ai mis du temps à écrire cette chronique. Je l’avais évoqué dans un autre article, j’attendais en fait de rencontrer l’auteur (qui était en résidence à Clermont-Ferrand pendant un mois entre mars et avril). Et j’ai bien fait, parce que Bruce Holbert a un discours très intéressant sur son roman, sur son pays, sur le sujet qu’il a choisi de traiter.

Animaux solitaires est présenté parfois comme un western, parfois comme un roman policier, parfois comme un roman noir. Disons que l’enquête est un prétexte pour raconter une époque, un personnage, une ambiance.

Russel Strawl est un ancien shérif. En 1932, il reprend du service pour mener une enquête que les autorités ne veulent pas ou sont réticentes à mener. Il vit dans le comté de l’Okanogan, dans l’Etat de Washington, dans le nord-ouest des Etats-Unis (à ne pas confondre avec la ville de Washington, le contexte n’est pas du tout le même !). On est vraiment dans les grands espaces américains, dans un monde encore sauvage, qui refuse la modernité, et où la violence est omniprésente, parce que c’est le seul moyen de survivre. Russel Strawl est du côté de la loi, pourtant, il est bien plus violent que la plupart des criminels qu’il a pu arrêter.

Alors qu’on le dise tout de suite, ce roman est très violent. Très, très violent. Et surtout c’est une violence dégueulasse, choquante. L’auteur a volontairement exagéré ces scènes de violence pour ne pas en faire quelque chose d’héroïque. Pour faire une comparaison avec le cinéma, on peut regarder les films de Quentin Tarantino en rigolant parce que la violence est mise en scène, elle est extravagante, elle fait de belles images. Mais il y a aussi des passages (je pense notamment à une ou deux scènes de Django Unchained) qui mettent mal à l’aise, parce que la violence est brute, moche, et qu’elle dégoute profondément. Eh bien, avec Bruce Holbert, les descriptions de violence sont brutes, froides et elles ont l’effet d’une douche glacée, bien loin de l’esthétique héroïque des films d’action hollywoodiens.

Le roman se déroule en 1932. C’est une période assez compliquée, juste après la crise de 1929. Les personnes se sont repliées vers des modèles de vie presque archaïques, dans lequel la violence prime. Strawl, le personnage principal, est loin d’être une exception. Tous les hommes qui l’entourent ont du sang sur les mains. Ils sont habitués à cette vie et il ne leur viendrait pas à l’idée de prendre du recul sur cette culture de la violence qu’il y a chez eux. Et si Strawl dégoute, c’est normal. Il n’est pas possible d’aimer un personnage pareil. Ses notions de bien et de mal sont loin d’être claire, elles sont régulièrement remises en cause au cours du roman. Cela fait de Strawl un personnage globalement antipathique.

Je ne sais pas s’il est très pertinent de parler plus de l’enquête. Ce qui est intéressant, ce sont les rencontres que Strawl va faire pour résoudre les meurtres. Il va visiter des anciennes connaissances, qui sont susceptibles de l’informer sur le meurtrier : il y a Marvin, un guérisseur indien, Hayes, un homme qui a décidé de vivre en ermite, Jacob Chin, un homme violent, l’un des principaux suspects. On rencontre aussi Elijah, le fils adoptif de Strawl, un jeune homme troublant qui s’est pris pour un prophète quand il était enfant. En tous cas, la résolution de l’énigme n’est pas du tout évidente et l’identité du meurtrier, tout comme son mobile, m’ont surprise.

L’écriture est très maîtrisée et cela donne des scènes hallucinantes, belles, mais troublantes, où on se demande si les personnages ont encore toute leur tête ou s’ils sombrent doucement vers la folie. J’en ai d’ailleurs tiré pas mal de citations intéressantes, dont voici quelques morceaux choisis :

« Votre beauté, c’est du verre, et elle reflète la beauté des autres comme un miroir. Vous êtes un miracle. Mais vous ne le savez pas. Vous possédez une âme qui illumine le verre. Et si vous reconnaissez votre propre lumière, vous pourriez espérer l’amour, et le rendre. Mais alors un homme vous livre une vérité difficile à admettre, une vérité que vous n’avez pas envie d’entendre : « Dieu n’existe pas », ou bien « les humbles n’auront pas la terre en héritage », ou encore « votre beauté n’est pas éternelle ». Et vous lui lancez à la figure : « Pourquoi me dites-vous cela ? » Ce n’est que plus tard que vous comprenez qu’il ne voit pas à travers vous comme à travers une vitre et qu’il se refuse à le faire. Ce qu’il désire, en revanche, c’est déchirer sa propre peau à l’éclat de verre que vous êtres, c’est épancher son sang sur vous et vous rendre visible. »

ou encore :

Le monde serait une arithmétique toute simple si on en ôtait la vie.

J’ai beaucoup aimé lire ce roman. L’écriture et le style se dégustent. C’est vraiment très beau. Mais je renouvelle mes avertissements : c’est un roman extrêmement noir, qui interroge la complexité de la violence, et qui peut rebuter par ce qu’il en montre. Bruce Holbert est vraiment un auteur extraordinaire et je vais me faire un plaisir de le suivre et de lire ces prochains romans.

En bonus, une interview de l’auteur sur Incoldblog.fr qui parle de son roman et de ce qui l’a poussé à l’écrire.

ABC thriller polars