Le Quatrième Mur – Sorj Chalandon

 

 

 

 

Sorj CHALANDON
Le Quatrième mur
Editions Grasset, 2013
325 pages

Présentation de l’éditeur

« L’idée de Samuel était belle et folle : monter l’Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth. Voler deux heures à la guerre, en prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire des acteurs. Puis rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, entre cour détruite et jardin saccagé.

Samuel était grec. Juif, aussi. Mon frère en quelque sorte. Un jour, il m’a demandé de participer à cette trêve poétique. Il me l’a fait promettre, à moi, le petit théâtreux de patronage. Et je lui ai dit oui. Je suis allé à Beyrouth le 10 février 1982, main tendue à la paix. Avant que la guerre ne m’offre brutalement la sienne… »


Georges fait partie de la génération des bacheliers de 1968. Très militant, il rencontre Samuel Akounis, dramaturge grec qui a fui la dictature et la répression dans son pays. La vie les rapproche, les sépare, et un beau jour, Samuel, malade, appelle Georges à son chevet. Il lui demande de prendre sa place dans un projet fou : monter Antigone de Jean Anouilh dans le Liban en guerre, en faisant jouer les personnages de la pièce par des membres des différents camps qui s’affrontent, afin d’accorder à ces peuples une trêve poétique le temps de la représentation. Mais la guerre a peu de considération pour les « trêves poétiques ».

Le roman retrace d’abord la rencontre de Georges et de Samuel. C’est Georges notre narrateur, et comme lui nous nous laissons séduire par Samuel et ses convictions. Et quand il s’agit de s’envoler pour le Liban pour monter une forme d’utopie éphémère, eh bien nous partons, pleins de bonne volonté et prêt à diffuser Antigone et son symbole dans ce pays en guerre. Mais à Beyrouth, dès que Georges doit visiter chacun des acteurs, la réalité le rattrape. Circuler est difficile, tout comme convaincre juifs, chrétiens, palestiniens et chiites de coopérer à la création de cette pièce. Chacun a sa propre vision de la pièce et interprète le personnage d’Antigone et son combat différemment. La guerre est bel et bien présente : tirs, bombes, bâtiments en ruine, contrôles à chaque coin de rue, morts, massacres. Georges se retrouve pris par ce projet, par cette guerre, et il va en être changé à jamais.

Ce roman est une claque ! Le sujet est d’abord très fort et l’écriture, sublime, en rend toute la complexité. J’ai particulièrement aimé la présence, tout au long du roman, d’Antigone et de son combat, de sa résistance. Son symbole est fort et l’interprétation qu’en fait Sorj Chalandon donne envie de relire la pièce pour la redécouvrir sous cette nouvelle lumière. C’est une lecture puissante et bouleversante qui raconte la guerre dans toute sa brutalité.

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Chaos, 1. Ceux qui n’oublient pas – Clément Bouhélier

Clément BOUHELIER
Chaos, 1. Ceux qui n’oublient pas
Editions Critic, 2016.

Présentation de l’éditeur

Paris, gare de Lyon. Une jeune femme brise une éprouvette et libère un virus inconnu qui se nourrit de la mémoire et frappe sans distinction d’âge, de sexe ou de milieu social.

Peu à peu, les infectés perdent toute capacité à penser et à agir. Malgré les mesures gouvernementales, l’épidémie se répand dans le pays, et même au-delà. Bientôt, le monde se peuple de « zombies », coquilles vides, errantes, répétant le même geste à l’infini.

Au milieu des décombres survivent quelques miraculés, des immunisés. Parmi eux, Chloé, Phil’, Claudy et Arthur. Ils n’ont rien en commun et ne se connaissent pas. Pourtant, une voix mystérieuse leur souffle de se rencontrer.

Dans cette France en proie au chaos, ils doivent découvrir qui a déclenché la pandémie et, surtout, mettre fin à son œuvre de destruction.


Même si le mot « zombies » apparaît sur la 4e de couverture, on est loin de l’habituel image du zombie décomposé anthropophage. Clément Bouhélier nous raconte bien une histoire de contagion, de maladie, mais celle-ci à un effet un peu différent. Les personnes touchées perdent toute mémoire, toute initiative, toute concentration, toute conscience de ce qui les entoure, comme un Alzheimer se déclenchant brutalement à tout âge. Très vite, les autorités sont dépassées par le nombre de malades, le gouvernement prend les pleins pouvoirs, mais l’armée ne contrôle plus rien, pas même ses propres soldats, et la peur de la contagion incite à la réclusion ou à la violence.

Au milieu de la catastrophe, nous suivons plus particulièrement 4 personnages qui luttent pour s’en sortir alors même qu’une voix mystérieuse semble les guider et attendre d’eux qu’ils agissent pour… sauver le monde peut-être.

L’auteur nous montre ainsi une apocalypse causée par une épidémie depuis le moment où une éprouvette est jetée sur le sol répandant un virus, jusqu’à l’implosion de la société. Il en détaille chaque étape : la découverte du premier malade, les tentatives de la médecine, les médias qui s’en mêlent, le gouvernement qui prend des mesures – trop tard ou pas assez efficaces, etc. La façon dont il décrit les réactions du gouvernement, de l’armée, des médias, de la population qui échappe aux premières vagues de contagion construit une ambiance très réaliste – et qui fait froid dans le dos. Mais, les 200 premières pages sont très longues. La contagion est décrite par le menu et c’est vite devenu interminable. Certes, cela permet de poser une atmosphère, d’installer les personnages, et d’instiller une pointe d’étrange qui va nous guider vers la fin du roman, mais ce fut pour moi un peu laborieux. La fin du roman finit par apporter des éléments de réponse qui ont relancé mon intérêt, mais, malgré tout, la rencontre annoncée dans la 4e de couverture n’a pas encore eu lieu alors que je m’attendais au moins que ça termine là-dessus.

« Chaos » : le titre est bien choisi, tant c’est ce dont il s’agit. Les quatre personnages qui pourtant se détachent en deviennent presque accessoires. On les connaît assez peu et ils sont pris dans la masse des autres personnages que l’on a croisé ici et là, au cours de la contagion ou de la panique initiale. Le dernier quart du roman les met plus en valeur, mais je retiens surtout le chaos ambiant, l’effondrement de la société et de ses institutions, le repli sur soi jusqu’à la violence.

En conclusion, je reste mitigée sur ce roman. Je reconnait ses qualités : l’ambiance, la peinture du chaos et de ce qui y a mené, le style précis et fluide, et cette façon de révéler les pensées profondes des personnages comme s’ils ne pouvaient se les avouer. Mais les 200 premières pages ont été lues de manière trop hachée pour surpasser cette frustration du « ça n’avance pas ! » Je lirais cependant la suite. Parce que c’était un premier roman et que c’est prometteur pour de futures réalisation. Et parce que je VEUX savoir le fin mot de l’histoire. Le deuxième (et dernier) tome est d’ailleurs sorti tout récemment, je me laisse quelques mois avant de me le procurer et de me plonger à nouveau dans le Chaos.

Temps glaciaires – Fred Vargas

Fred VARGAS
Temps glaciaires
Editions Flammarion, 2015
489 pages

Présentation de l’éditeur

Adamsberg attrapa son téléphone, écarta une pile de dossiers et posa les pieds sur sa table, s’inclinant dans son fauteuil. Il avait à peine fermé l’oeil cette nuit, une de ses soeurs ayant contracté une pneumonie, dieu sait comment.

– La femme du 33 bis ? demanda-t-il. Veines ouvertes dans la baignoire ? Pourquoi tu  m’emmerdes avec ça à 9 heures du matin, Bourlin ? D’après les rapports internes, il s’agit d’un suicide avéré. Tu as des doutes ?

Adamsberg aimait bien le commissaire Bourlin. Grand mangeur grand fumeur grand buveur, en éruption perpétuelle, vivant à plein régime en rasant les gouffres, dur comme pierre et bouclé comme un jeune agneau, c’était un résistant à respecter, qui serait encore à son poste à cent ans.

– Le juge Vermillon, le nouveau magistrat zélé, est sur moi comme une tique, dit Bourlin. Tu sais ce que ça fait, les tiques ?


Adamsberg est sollicité par le commissaire Bourlin à propos d’un suicide qui lui semble suspect à cause d’un signe étrange dessiné sur les lieux du crime. Un témoignage opportun les amène à un autre suicide suspect, à une étrange affaire qui s’est déroulée en Islande dix ans plus tôt, et à un club reconstituant les assemblées révolutionnaires de la Terreur.

Je connais bien l’œuvre de Fred Vargas, aussi me plonger dans son dernier c’est comme retrouver un environnement familier : on connaît les personnages, et on se régale de leurs manies. En effet, le commissaire Adamsberg est un fascinant personnage. Du genre brouillon, rêveur, avec une intuition redoutable quand il s’agit de mettre le doigt sur le détail qui résoudra tout. Son équipe est aussi des plus particulières, entre Danglard, le puits de science, Retancourt, la force de la nature, et les autres, parmi lesquels un hypersomniaque et un gros chat. On trouve aussi dans cet épisode un sanglier apprivoisé – détail crucial !

Tout ça nous mène et nous égard dans une enquête qui a ses longueurs mais qui se révèle surprenante. C’est toujours un bonheur que de retrouver ces personnages dans un nouveau roman. J’aime toujours autant, aussi n’hésitez pas à lire ces romans ou à les découvrir !

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Rêves de Gloire – Roland C. Wagner

Roland C. WAGNER
Rêves de gloire
Editions L’Atalante, 2011
697 pages
Collection La Dentelle du Cygne

Présentation de l’éditeur

Le 17 octobre 1960 à 11 h 45 du matin, la DS présidentielle fut prise sous le feu d’une mitrail­leuse lourde dissimulée dans un camion à la Croix de Berny. Le Général décéda quelques instants plus tard sur ces dernières paroles : « On aurait dû passer par le Petit-Clamart. Quelle chienlit… »

De Gaulle mort, pas de putsch des généraux, pas d’OAS, pas d’accords d’Évian, pas de réfé­rendum, et Alger reste française. De nos jours, à Alger, l’obsession d’un collec­tionneur de disques pour une pièce rare des années soixante le conduit à soulever un coin du voile qui occulte les mystères de cette guerre et de ses prolongements…


Rêves de gloire est un roman que j’ai acheté pour son auteur et pour la batterie de prix qu’il avait gagné – Prix Utopiales du meilleur roman européen, Prix du Lundi, Prix ActuSF de l’uchronie, tout ça en 2011 – il y a 2 ou 3 ans. Mais je l’avais à peine ouvert, effrayée que j’étais par sa densité (697 pages, tout de même). J’ai fini par mettre ce roman dans ma PAL d’automne, et il y est passé.

Rêves de Gloire est une uchronie qui prend pour point de divergence historique la mort du Général de Gaulle en octobre 1960 lors d’un attentat à la mitrailleuse contre sa voiture. Avec sa mort, c’est toute la guerre d’Algérie et l’histoire de sa conclusion qui sont bouleversées : pas d’accords d’Evian, l’Algérie devient indépendante, mais la France conserve des enclaves autour d’Alger et de deux autres villes.

En parallèle, un mouvement se crée autour de la Gloire, drogue distribuée par un certain Tim pour diffuser une vision mystique. En résulte le lancement d’une légende qui va attirer des jeunes venus de toute la France et de plusieurs pays d’Europe par la promesse d’un nouveau mode de vie festif. Les autorités françaises n’aiment pas qu’on dévergonde ses jeunes et les vautriens (contraction de vaurien et vautré) émigrent à Alger pour y créer des communautés.

Cette histoire est raconté par plusieurs points de vue différents, à travers plusieurs témoignages de personnes qui ont participé à différents moments de ce mouvement : ceux qui ont connu ses débuts, festifs et insouciants, et ceux qui ont vécu ses difficultés et l’extrême pauvreté et le dénuement dans lesquels certains communautés se sont retrouvées. Et il y a des acteurs plus ou moins bien identifiés qui ont participé aux événements politiques et qui donc témoignent des causes et conséquences de choix politiques faits durant ces années complexes.

Il y a aussi ce collectionneur de vinyles à la recherche d’un disque extrêmement rare enregistré à l’époque et qui pour le retrouver va mettre à jour les événements marquants de ces années 1960-1970 : la tension politique entre Alger et la France, entre des indépendantistes radicaux et des mélancoliques de l’Algérie française, alors qu’Alger devient un enjeu déterminant du conflit qui ne demande qu’à éclater entre les deux pays ; le développement de ces communautés, fondées sur l’entraide et le partage, et sur des valeurs révélées par la Gloire, de ces mouvements non-violents d’engagement contre la guerre ; l’avènement de la musique psychodélique et de nombreux groupes plus ou moins engagés dans les mouvements de leur époque.

C’est un roman qu’il est difficile d’aborder, parce qu’il est dense, foisonnant et que son intrigue peut difficilement se résumer en deux lignes (en témoignent les paragraphes précédents). Il se fait le portrait d’une époque – les années 60-70 et ses mouvements communautaires hippies, non-violents, engagés pour un autre mode de vie – tout en exposant les enjeux politiques et sociétaux suscités par une ville – Alger. Il porte son titre à merveille : la Gloire a suscité l’envie de constituer des communautés, une manière de vivre alternative, mais ce fantasme n’est qu’un rêve et a vite produit de nombreuses désillusions.

Tout cela doit paraître bien complexe, l’aspect polyphonique des récits qui se répondent et se croisent est peut-être perturbant. Il faut en effet faire le liens entre les différents pour appréhender le tableau en entier. Mais tout cela est très bien mené par son auteur. Il a réussi à faire un récit cohérent, et qui, si tant est qu’on veuille faire l’effort de s’accrocher un peu de sortir de sa zone de confort, est passionnant.

Quant à moi, vous l’aurez deviner, j’ai adoré cette lecture, je me suis faite embarquée sans m’en rendre compte et j’ai été fascinée. Par cette époque, par ce récit, par ce qu’on peut en tirer, par les traces qu’il en reste peut-être aujourd’hui. J’ai été bien inspirée d’ailleurs de ne pas le lire plus tôt, parce que je pense que, il y a un an ou deux, je n’aurais pas eu la maturité nécessaire pour apprécier pleinement ce roman et ses enjeux. Je vous recommande chaudement ce roman.

Et une chronique en vidéo !

Dans les ombres sylvestres – Jérôme Lafargue

 
Jérôme LAFARGUE
Dans les ombres sylvestres
Quidam Editeur, 2009
182 pages
Collection Made in Europe

Présentation de l’éditeur

Un homme sauvage, jeteur de sort, venu d’un nulle part archaïque et terrifiant, s’installe à Cluquet, petit village pris entre l’océan et une forêt tout aussi immense. On l’y craint comme on profite de ses dons, jusqu’à ce que la guerre l’emporte comme des millions d’autres. Mais ce révolté dans l’âme a-t-il tout à fait disparu ?

Audric, son arrière-petit-fils, éprouve d’énormes difficultés à assumer cette ascendance pesante, dans un hameau désormais abandonné par la faute de son aïeul et de sa magie funèbre mais qu’il ne peut lui-même se résoudre à quitter. N’est-il qu’un fétu de paille balloté par l’histoire sombre de sa famille ? Ou quelqu’un d’encore plus inquiétant, esprit insurgé porteur d’un destin qui le dépasse ?

Dans les ombres sylvestres n’est pas seulement une ode à la forêt et ses enchantements. C’est aussi un portrait à fleur de peau d’un homme fragile, amoureux, et désespéré à l’idée de ne pas se montrer à la hauteur d’ancêtres hors du commun dans un monde qui se disloque jour après jour.


Aubric, dans ce roman, se fait narrateur pour raconter l’histoire de sa famille. Celle-ci commence avec Elébotham, un homme sorti d’on ne sait où et qui s’est taillé une réputation de rebouteux. Osmin puis Jaguen – le père d’Aubric – et Aubric lui-même ont dû vivre avec cette légende, dans la maison en haut des dunes, entre la forêt et la mer. Aubric raconte son histoire, en mettant en perspective sa propre vie et sa personnalité à l’aune de cette ascendance. Il va aussi chercher à explorer plus en détail la vie de son arrière-grand-père, pour savoir enfin d’où il vient et d’où il tire ses dons de rebouteux.

Ces recherches sont l’entrée dans le roman d’une sorte de surnaturel, un monde fantastique, de sorcellerie, qui prend ses origines dans la croyance populaire et dans les jungles africaines. Cependant, un doute s’insinue : le narrateur ne serait-il pas fou ?

Le style est délicat, plutôt joli, pour décrire la grandeur des bois, de l’océan, ou les tourments du narrateur. Le roman est étonnant, loin de l’ambiance champêtre attendue avec le titre. Je peine un peu à mettre des mots sur cette lecture. Je ne l’ai pas détestée, elle m’a plutôt intéressée, elle est déroutante (avec une fin qui remet tout en question), atypique. En tous cas, ça m’a fascinée.

Un roman pour visiter les Landes, se perdre entre la forêt et la mer, et découvrir une légende. Un roman unique en son genre, peu connu, mais qui mériterait un plus grand public.

Le Roi n’a pas sommeil – Cécile Coulon

Cécile COULON

Le Roi n’a pas sommeil

Editions Points, 2014

152 pages.

Présentation de l’éditeur

Thomas Hogan aura pourtant tout ait pour exorciser ses démons – les mêmes qui torturaient déjà son père. Quand a-t-il basculé ? Lorsque Paul l’a trahi pour rejoindre la bande de Calvin ? Lorsqu’il a découvert le Blue Bird, le poker et l’alcool de poire ? Lorsque Donna l’a entraîné naïvement derrière la scierie ?

Prix Mauvais genre 2012 (France Culture – Le Nouvel Observateur).


William Hogan rêvait de posséder une maison et un grand terrain couvert de forêt. Il a eu un héritage, a acheté la maison et le terrain, a épousé Mary. Il se tue à la tâche pour entretenir sa propriété, et il est donc peu présent quand naît Thomas. L’enfant est chétif. Sa mère l’adore, son père l’impressionne. Quand ce dernier meurt après un accident, Thomas continue de vivre et de grandir sous son ombre. Fragile et vulnérable, il est bon en classe, généreux, mais le caractère de son père semble le rattraper.  Il devient taiseux, se met à boire, joue au poker. Il vit sur la propriété de son père, la seule chose dont il rêve. Les gens l’énervent de plus en plus. Et un soir, tout dérape.

Puppa ne connaissait pas Thomas, ils ne s’étaient jamais vraiment parlé, mais tout dans l’attitude du môme lui rappelait la violence contenue qui avait frémi chez William. Sa façon de se tenir en retrait, son regard quand une gamine criait trop fort, le mouvement de ses lèvres sans que le moindre son s’en échappe, il y avait quelque chose de son père en lui, un mauvais sang qui roulait dans ses veines : l’écume avant l’orage.

 Notre histoire se place dans une sorte d’Amérique fantasmée, une petite ville dans une région forestière éloignée des centres d’activité, un temps indéterminé, mais proche de nous. L’histoire est celle de Thomas et de l’héritage légué par son père, l’amour pour une terre et une maison, et une rage rentrée. Sa vie a basculé un jour. Comment, on l’ignore encore. Pourquoi, c’est ce que le roman va nous raconter.

Le roman est court, le style dense, précis, percutant et créateur d’une ambiance bien particulière. Un déterminisme latent guide le récit, avec l’idée qu’il n’y a pas d’avenir possible pour notre personnage, et pour ceux qui l’entoure, si ce n’est dans le chemin déjà tracé par les parents. La violence paternelle a engendré un jeune homme tourmenté, qui va subir et user de cette violence. J’ai aimé ce roman pour cette ambiance, sobre, de violence rentrée et d’horizon bouché. C’est une oeuvre remarquable pour une auteure jeune (un an de plus que moi), et qui fait parler d’elle.

La Mort est mon métier – Robert Merle

Robert MERLE

La Mort est mon métier

Editions Folio, 2006

369 pages

Présentation de l’éditeur

Le Reichsführer Himmler bougea la tête, et le bas de son visage s’éclaira…

– Le Führer, dit-il d’une voix nette, a ordonné la solution définitive du problème juif en Europe.

Il fit une pause et ajouta :

– Vous avez été choisi pour exécuter cette tâche.

Je le regardai. Il dit sèchement :

– Vous avez l’air effaré. Pourtant, l’idée d’en finir avec les Juifs n’est pas neuve.

– Nein, Herr Reichsführer. Je suis seulement étonné que ce soit moi qu’on ait choisi…


A qui puis-je dédier ce livre, sinon aux victimes de ceux pour qui la Mort est un Métier.

Robert Merle raconte dans ce roman la vie de Rudolf Lang, un homme allemand né en 1900, qui a fait la guerre très jeune et qui a été un fervent « serviteur » de la dictature nazie. On le voit jeune, subir la présence de son père, un allemand fier de son pays, très chrétien, très strict, faisant régner une discipline de fer. C’est cette discipline qui lui permet de grimper quelques échelons dans la hiérarchie de l’armée pendant la Première Guerre mondiale. On voit éclore ses convictions extrémistes alors qu’il subit le chômage après la défaite de l’Allemagne, on le voit se relever en adhérant au parti nazi qui va tout de suite comprendre son potentiel et l’exploiter. Rudolf Lang a vraiment existé, il s’appelait Rudolf Hoess et il a été le commandant du camp d’Auschwitz.

Robert Merle a construit son roman à partir de la retranscription d’un entretien d’un psychologue avec cet homme au moment du procès de Nuremberg. Il a comblé les trous de sa biographie en romançant et en imaginant sa vie. Il s’est aussi beaucoup documenté sur ce qui s’est passé à Auschwitz, et sur ce qui a amené les nazis à construire les camps de cette façon.

Il est très intéressant d’avoir cette édition, avec la préface de Robert Merle, écrite en 1972, vingt ans après la première publication du roman. Elle permet de remettre ce roman dans son contexte : en 1952, l’horreur des camps avait déjà été évacuée, devant des impératifs politiques. Il avait beau être « démodé » quand il a été publié, ce roman mérite d’être toujours lu. Il est diablement efficace et parvient parfaitement à rendre compte de l’horreur de ce que ça a été dans les camps. C’est d’ailleurs pire quand on a le point de vue du bourreau – un bourreau qui est un rouage particulièrement zélé et discipliné -, quand on voit le processus de construction d’une telle machine de guerre.

Ce portrait, cette histoire sont glaçants. Par bien des aspects, c’était plus horrible que tout ce que j’avais déjà pu lire ou voir sur les camps de concentration. Est-ce que je le conseille ? Disons que si ce genre de récit vous intéresse, avec ce point de vue si proche de l’horreur, oui, allez-y.

Pour conclure sur ce roman, un dernier mot de la part de l’auteur, extrait de la préface de 1972 :

« Il y a eu sous le Nazisme des centaines, des milliers de Rudolf Lang, moraux à l’intérieur de l’immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs « mérites » portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l’impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l’ordre, par respect pour l’Etat. Bref, en homme de devoir : et c’est en cela justement qu’il est monstrueux. »

XXe siècle

L’Eau des collines, 1. Jean de Florette – Marcel Pagnol

Marcel PAGNOL

L’Eau des collines, 1. Jean de Florette

Editions de Fallois, 2004

280 pages

première édition en 1963

Présentation de l’éditeur

Au village des Bastides Blanches, on hait ceux de Crespin. C’est pourquoi lorsque Jean Cadoret, le Bossu, s’installe à la ferme des Romarins, on ne lui parle pas de la source cachée. Ce qui facilite les manoeuvres des Soubeyran, le Papet et son neveu Ugolin, qui veulent lui racheter son domaine à bas prix.

Jean de Florette (1962), premier volume de L’Eau des collines, marque, trente ans après Pirouettes, le retour de Pagnol au roman. C’est l’épopée de l’eau nourricière sans laquelle rien n’est possible.


Au village des Bastides, Ugolin Soubeyran a un projet : faire une grande plantation d’œillets, produit qui lui rapporterait plus que les pois chiches qu’il fait pour le moment pousser dans ses champs. Mais, dans ces collines provençales, sans eau et sans le terrain approprié, la moindre plantation devient un travail titanesque. Il se confie à son Papet, qui lui trouve alors une solution : acheter la terre du vieux Pique-Bouffigue, un braconnier qui n’exploite pas ses champs pourtant alimentés par une source d’importance. Pique-Bouffigue refuse de vendre ou de louer sa terre. Mais la chance sourit à Ugolin à la mort de celui-ci quelques semaines plus tard. Il leur suffit de boucher et de cacher la source, et puis d’attendre que les héritiers – des citadins – vendent la maison et les terres. Après tout que pourraient-ils bien en faire ?

Seulement voilà, Jean de Florette (nommé ainsi parce qu’il est le fils de Florette), originaire de Crespin, bossu, rêveur, philosophe, citadin,  et neveu de Pique-Bouffigue tombe sous le charme de la région et rêve d’y faire vivre sa femme et sa petite fille grâce à des projets agricoles ambitieux, battis avec l’implacable certitude que peut apporter la science et les statistiques.

Effarés, Ugolin et le Papet assistent avec dérision et patience aux tentatives de Jean de Florette pour construire son projet, qui persévère malgré l’absence d’eau, guidé par ses guides scientifiques et ses relevés statistiques des précipitations. Entre querelles de clocher, vieilles rancunes et confrontation de la modernité et de la tradition, avec Jean de Florette d’un côté et Ugolin de l’autre, on s’amuse de l’incrédulité de l’un et de l’enthousiasme démesuré de l’autre, non sans s’émouvoir du drame.

Lire ce roman, c’était pour moi comme être en vacances. Entre le contexte – la Provence ! -, les périodes décrites – certes toute l’année est évoquée, mais surtout l’été et ses grandes chaleurs -, les dialogues entre la simplicité paysannes et les envolées lyriques du citadin-philosophe-poète qu’est Jean, et cette histoire à la fois drôle et dramatique, c’était l’évasion garantie, accompagnée d’un certain nombre de sourires et fous rires. En plus de ça, le roman se lit très facilement, ce n’est donc pas un auteur « classique » à craindre : bien au contraire, il y a toujours un peu d’humour, c’est plaisant et facile.

Un roman à lire donc, ou à regarder puisqu’il a fait l’objet d’une adaptation en 1986 par Claude Berri (avec Yves Montand, Gérard Depardieu et Daniel Auteuil).

XXe siècle

Sérum, Saison 1, épisode 1 – Henri Loevenbruck et Fabrice Mazza

Henri LOEVENBRUCK et Fabrice MAZZA

Sérum, Saison 1, épisode 1

Editions J’ai lu, 2012

181 pages

Présentation de l’éditeur

1773 : Mesmer invente l’hypnose.

1886 : Freud invente la psychanalyse.

2012 : Draken invente le sérum.

Une injection.

Sept minutes pour accéder au subconscient profond d’Emily Scott.

Un carnet pour décrypter ses visions fantasmagoriques.

Quelques jours pour empêcher le pire.

Mais quand les morts suspectes se multiplient, le NYPD se pose une question : Arthur Draken est-il un psychiatre de génie ou un dangereux criminel ?


Lola Gallagher, détective de police, enquête sur l’agression d’une jeune femme devenue amnésique après qu’on lui a tiré dans la tête. La jeune femme, qui se fait appeler Emily Scott, était poursuivie et s’est adressée à des caméras de surveillance en parlant de machination et d’enlèvement. Lola peine à trouver des informations sur Emily – celle-ci n’a pas d’empreintes digitales – et elle se tourne vers la psychologie et un de ses amis qui est psychiatre pour aider Emily  à se souvenir.

Le suspens est créé dès le début du roman. En effet, dès la première page, on est projeté dans un flash forward/un saut en avant/une prolepse, qui montre très clairement que la situation exposée dans ce roman va dégénérer et s’aggraver. Le tout va être de savoir de quelle manière et si le personnage qui a du sang sur les mains est coupable de quelque chose ou pas.

A l’enquête sur la vie d’Emily, s’ajoute des passages sur la vie personnelle de Lola, des chapitres centrés sur le personnage de Draken, le psychiatre, et d’autres sur les mystérieux agresseurs d’Emily.

Sérum est conçu comme une série TV. Ce premier tome ou épisode est comme un épisode introductif d’une série thriller. J’ai d’ailleurs hésité avant de chroniquer ce premier épisode, me demandant si j’avais assez de matière – mais étant donné que je risque soit de ne pas lire la suite avant un certain temps, soit de lire mais de ne pas chroniquer la série en cours de route, je m’y suis mise. Pardonnez-donc la légèreté de ce billet.

Sérum est une série qui a eu du succès au moment de sa sortie (il suffit de voir le nombre de chroniques publiées sur la fiche Livraddict du premier tome). C’est aussi une « série évènement » augmentée et interactive. En effet, des QR Codes disséminés dans les différents chapitres permettent d’accéder à des contenus différents (musique ou vidéo pour lire en étant d’autant plus plongé dans l’ambiance). Je n’ai pas pu accéder à ces contenus (la fille qui vit très bien sans smartphone), mais le concept en lui-même est très intéressant. Il y a aussi un site-web dédié à la série qui permet de pénétrer dans l’univers : www.serum-online.com. Henri Loevenbruck est d’ailleurs familier du procédé puisqu’il avait créé un site similaire avec son roman thriller ésotérique Le Mystère Fulcanelli.

Au delà de tout ça, ce fut une lecture rapide, efficace. Je suis curieuse de voir se qui va se passer ensuite. J’aime le côté thriller mêlé à cette invention dangereuse qu’est le Sérum et j’ai bien envie de connaître le fin mot de l’histoire.

Lancelot – Collectif

Collectif

Dirigé par Jérôme Vincent

Lancelot

Editions Actu SF, 2014

373 pages

Présentation de l’éditeur

Lancelot est le plus grand des chevaliers de la Table ronde, mais aussi celui dont le destin est le plus tragique lorsqu’il trahit Arthur, son roi, en tombant amoureux de Guenièvre.

Loyal, pur et traître, il ne cesse de nous interroger depuis des siècles, se réinventent à chaque époque.

Neuf auteurs confirmés de l’imaginaire se sont emparés de sa figure pour lui inventer de nouvelles aventures donnant un éclairage nouveau à ce personnage résolument moderne. Neuf éclats de son âme. Et un peu de la nôtre.

Contient :

  • « Le Donjon noir » de Nathalie Dau
  • « Lancelot-Dragon » de Fabien Clavel
  • « Le meilleur d’entre eux » de Lionel Davoust
  • « Le Voeu d’oubli » de Armand Cabasson
  • « Je crois que chevalerie y sera » de Anne Fakhouri
  • « La tête qui crachait des dragons » de Thomas Geha
  • « Les Gens des pierres » de Franck Ferric
  • « Lance » de Jeanne-A Debats
  • « Pourquoi dans les grands bois, aimé-je à m’égarer » de Karim Berrouka

Comme à mon habitude, c’est bien après avoir lu le livre que j’ai appris dans quelles circonstances il a été publié. Cette fois, au moins, pas de surprise type « j’ai lu la première édition alors qu’il y en a eu une nouvelle, revue et corrigée, publiée récemment ». Simplement, Lancelot est l’anthologie officielle de l’édition 2014 du (feu) Festival Zone Franche de Bayeux. Pour l’occasion, donc, 9 auteurs ont livré leur vision de ce personnage mythique de la Quête du Graal et de la Table ronde, l’un des plus connus de la Légende arthurienne.

Les nouvelles ont été classées selon la chronologie de l’histoire de Lancelot. Ainsi, « Le Donjon noir » de Nathalie Dau se situe au moment où Lancelot rejoint la Table Ronde et rencontre Guenièvre. Cette nouvelle introduit aussi le monde d’en bas et les rapports ambigus qu’il entretient avec le monde de humains. Elle présente aussi le personnage de Lancelot à travers ce qui le rend si particulier : sa relation avec Guenièvre.

Vu le personnage et le mythe arthurien, cette anthologie ne pouvait faire l’impasse sur la Quête du Graal. « Lancelot-Dragon » de Fabien Clavel montre un Lancelot banni de Camelot qui tente de disparaître et qui va se retrouver pris dans une sorte de voyage initiatique et spirituel qui va le rapprocher du Graal. D’une manière très différente, « Le meilleur d’entre eux » de Lionel Davoust évoque aussi la Quête du Graal. Alors que Camelot se meurt, touchée par la peste et la famine, Lancelot revient d’un voyage avec un message et une nouvelle compréhension de la quête.

« Le Vœu d’oubli » de Armand Cabasson présente Lancelot qui a fait un vœu d’oubli et qui voyage au Danemark sous un nom d’emprunt. Il part en croisade et continue à réaliser des exploits, alors que tout semble vouloir lui rappeler ce qu’il a oublié.

Plusieurs auteurs ont choisi d’imaginer ce qui s’est passé après la disgrâce de Lancelot pour le chevalier ou pour ses compagnons d’arme. « Je crois que chevalerie y sera » de Anne Fakhouri nous montre Gauvain, Bohort, Lionel et Hector qui partent à la recherche de Lancelot, cherchant à le connaître et à la comprendre. « La tête qui crachait des dragons » de Thomas Geha commence après la trahison et la mort de Guenièvre, alors que des dragons ont envahi le royaume. Arthur fait appel à Lohengrin, le fils de Perceval, pour qu’il parte à la recherche de Lancelot, seul espoir contre le fléau.

Les trois nouvelles qui terminent le recueil, tout en étant de genres et registres très différents, imaginent une vie après la mort de Lancelot et des chevaliers. « Les Gens des pierres » de Franck Ferric se déroule après la mort d’Arthur qui demeure en Avalon. Les spectres des chevaliers Lancelot, Gauvain, Mordred et d’autres, vivent à Camelot dans une sorte d’entre-monde, alors que dans une île proche, Elaine de Shalott, jeune femme à la destinée maudite, est prisonnière de sa tour. En effet, si elle la quitte, un malheur s’abattra sur son peuple. Pourtant, elle ne rêve que d’une chose, quitter la tour et rejoindre les chevaliers qu’elle aperçoit par sa fenêtre.

« Lance » de Jeanne-A Debats reprend l’un des personnages récurrents de l’auteur, Navarre, le vampire de Métaphysique du Vampire et de l’Héritière. Dans cette nouvelle qui se déroule en 1936, Navarre est au service du Vatican et il est chargé de se rendre en Avalon pour éveiller Lancelot d’un sommeil millénaire afin qu’il tue un dragon appelé par les nazis. Le tout est raconté par Navarre avec un humour décapant et se déroule dans un monde proche du nôtre, mais habité par tout un tas de créatures fantastiques.

« Pourquoi dans les grands bois, aimé-je à m’égarer » de Karim Berrouka reprend, d’après ce que j’ai compris, les personnages de Fées, weed et guillotines, Marc-Aurèle, Petiot, Buragne et Premier de la classe. Ils enquêtent sur un meurtre étrange, une attaque d’écureuil et un carnage à l’épée. Ils se retrouvent les spectateurs d’un combat entre deux légendes, Lancelot et Gauvain, qui sont restés chevaliers, mais qui ont beaucoup vieilli. Les deux chevaliers se battent pour régler une querelle millénaire, avec force de jurons (« forniquard de hareng gaupe » – je n’ai pas pu m’empêcher d’en noter quelques uns).

Ainsi, ces nouvelles racontent et mettent en scène le personnage de Lancelot, avec des aspects différents de sa légende : chevalier vertueux, amoureux, traître et responsable de la ruine de Camelot. J’ai évoqué rapidement chaque nouvelle, parce que cette lecture commence à dater et que j’en garde un souvenir imprécis. De même, je serai bien en peine d’en désigner mes préférées. Ce sont des nouvelles très différentes, et c’est cette variété qui fait l’intérêt de ce recueil, tout comme les points de vues et les réécritures du mythe qu’a fait chaque auteur.

ABC Imaginaire 2015 v2