Histoires Extraordinaires – Edgar Alan Poe

 

 

Edgar Alan POE
Histoires extraordinaires (traduit par Charles Baudelaire).
Editions Folio Classique, 2004
417p.
1ère édition (VF) : 1856.

Présentation de l’éditeur

« Voilà une femme étranglée par la force des mains, et introduite dans une cheminée, la tête en bas. Des assassins ordinaires n’emploient pas de pareils procédés pour tuer. Encore moins cachent-ils ainsi les cadavres de leurs victimes. Dans cette façon de fourrer le corps dans la cheminée, vous admettrez qu’il y a quelque chose d’excessif et de bizarre – quelque chose d’absolument  inconciliable avec tout ce que nous connaissons en général des actions humaines, même en supposant que les auteurs fussent  les plus pervertis des hommes. »


La chronique va être encore plus courte que d’habitude. En effet, je ne me sens pas très légitime à venir parler d’Edgar Alan Poe, ou en tout cas d’en faire une forme d’analyse. Je vais plutôt rester en surface.

Histoires extraordinaires est un recueil de nouvelles d’Edgar A. Poe, constitué par Baudelaire quand il a traduit ses textes pour l’édition française. Il n’aurait donc probablement pas eu la même cohérence si l’auteur lui-même aurait fait les mêmes regroupements. Mais j’ai trouvé ça intéressant puisque on retrouve des thématiques communes à plusieurs nouvelles, ce qui permet d’explorer plusieurs points de vue de l’auteur sur les thématiques en question.

On retrouve le célèbre Double assassinat dans la rue Morgue, en diptyque avec La Lettre volée qui présentent le même personnage de dandy qui résout des problèmes d’apparence insoluble grâce à son intellect. Poe est d’ailleurs l’un des précurseurs du roman policier. Il exploite aussi des découvertes scientifiques de son temps, ou des phénomènes naturels et y ajoute une touche fantastique : un ballon pour aller sur la lune, l’hypnose et ses effets sur la mort, un navire pris dans un maelström en pleine mer. Il y a aussi des histoires de fantômes, bien fantastiques dans le sens où on doute dans un premier de ce qu’on perçoit. Les explications scientifiques sont – souvent – très longues et un peu laborieuses à lire, mais je garde un bon souvenir de la lecture de ce recueil. J’admire toutes les idées développées tout comme l’ambiance qu’il parvient à instiller dans les contes les plus effrayants. Un classique à découvrir !

Utopiales 15

Collectif
Utopiales 15
Editions ActuSF, 2015
399 pages
Collection Les 3 Souhaits

Présentation de l’éditeur

La réalité, c’est ce qui ne disparaît pas quand on arrête d’y croire. (Philip K. Dick)

Construite autour de la thématique « Réalité(s) », cette anthologie officielle des Utopiales, septième du nom chez ActuSF, va vous entraîner dans des jungles mystérieuses avec Fabien Clavel, sur un monde aux moeurs singulières avec Mike Carey ou encore à la rencontre d’êtres venus d’ailleurs avec Laurent Queyssi…

Vous y croiserez également d’anciens pilotes communistes qui ont vu des ovnis pendant le Deuxième Guerre mondiale, des petits robots fugueurs, de vieux copains de bistrot aux paris un peu fous et alcoolisés et des maisons en réalité virtuelle à l’intérieur desquelles tout est possible… Sans oublier Alain Damasio qui nous offre une belle avant-première avec le premier chapitre inédit de son futur roman, Fusion.

Etes-vous sûr de votre réalité ? Sont-ils vivants et nous morts ? Treize nouvelles pour douter de tout…

Préface de Sylvie Lainé et Roland Lehoucq. Avec les nouvelles de Charlotte Bousquet, Mike Carey, Joël Champetier, Fabien Clavel, Philippe Curval, Alain Damasio, Aliette De Bodard, Jean-Laurent Del Socorro, Daryl Gregory, Jérôme Noirez, Stéphane Przybylski, Laurent Queyssi et Robert Silverberg.


J’ai soudain eu une envie de lire des nouvelles. Mes lectures romanesques en cours étaient soient trop longues à démarrer, soient peu intéressantes, soient trop tarabiscotées pour mon état d’esprit du moment. Je me suis donc dirigée vers l’anthologie des Utopiales de 2015, sûre de pouvoir me régaler avec des histoires courtes, tout en me frottant à des auteurs que je connaissais peu, voire pas du tout.

La thématique de cette édition – Réalité(s) – est suffisamment large pour permettre de nombreuses interprétations tout en entraînant le lecteur vers des dimensions très différentes, scientifiques, psychologiques, juridiques (oui), culturelles, ou encore fantasmagoriques. Je n’ai pas l’intention de revenir sur chacune des nouvelles – à vous d’aller les découvrir – mais d’en évoquer quelques unes parmi d’autres, que je les ai aimée, ou pas.

Le recueil s’ouvre sur « Les Yeux en face des trous » d’Alain Damasio, le premier chapitre de son nouveau roman, Fusion. Tout tourne autour d’une découverte scientifique bluffante : celle de s’injecter les souvenirs des autres grâce à un liquide particulier. Deux amis volent  un peu de ce liquide pour en tester eux-mêmes les propriétés et en découvrir par la même occasion quelques utilisations possibles. En finissant cette lecture, je n’ai eu qu’une réaction : « Je VEUX la suite maintenant. Ça sort quand ? » (début 2016, j’ai pas trouvé plus d’infos).

Certaines des nouvelles traitent directement du thème de la/des Réalité(s), que celle-ci soit virtuelle, ou parallèle. J’aime bien comment Jérôme Noirez l’aborde dans « Welcome Home ». Il pose une question simple : quand on est propriétaire de sa propre réalité, la loi s’applique-t-elle ? Dans « Smithers et les fantômes du Thar », Robert Silverberg choisit plutôt d’apporter une dimension temporelle. Le temps est aussi exploité par Fabien Clavel, d’une manière très différente avec « Versus » – une nouvelle que j’ai particulièrement appréciée.

Charlotte Bousquet nous livre une nouvelle très touchante sur la maladie où souvenirs se mêlent au temps présent. Avec « Visage », Mike Carey propose la confrontation de deux réalités culturelles différentes, un aspect qui m’a particulièrement intéressée. Le lien avec la thématique est parfois un peu plus flou, comme avec « Le vert est éternel » de Jean-Laurent Del Socorro qui reprend l’univers de son roman fantasy Royaume de vent et de colères, sans que sa lecture soit désagréable pour autant.

Les autres nouvelles m’ont plus ou moins marquée sur le moment, mais je vous invite également à les découvrir pour voir les propositions de leurs auteurs sur la thématique du recueil. A part Charlotte Bousquet et Jérôme Noirez que j’avais déjà lu, cette lecture m’incite à aller découvrir ces auteurs dans leurs autres oeuvres, notamment Daryl Gregory, Fabien Clavel ou encore Mike Carey.

Contient :

  • Alain Damasio, « Les Yeux en face des trous »
  • Aliette De Bodard, « Immersion »
  • Jérôme Noirez, « Welcome home »
  • Philippe Curval, « Un demi bien tiré »
  • Joël Champetier, « Dieu, un, zéro »
  • Daryl Gregory, « Les aventures de Rocket Boy »
  • Jean-Laurent Del Socorro, « Le vert est éternel »
  • Charlotte Bousquet, « Coyote creek »
  • Stéphane Przybylski, « Intelligence extraterrestre »
  • Laurent Queyssi, « Pont-des-sables »
  • Fabien Clavel, « Versus »
  • Robert Silverberg, « Smithers et les fantômes du Thar »
  • Mike Carey, « Visage »

Sang pour cent et autres nouvelles – Dominique Combaud

Dominique COMBAUD
Dreams of the Otherlands, 1. Sang pour cent et autres nouvelles
Editions Otherlands, 2015
160 pages
Collection Nouvelle(s) Génération

Présentation de l’éditeur

Parfois le voile fin qui sépare la réalité du rêve se déchire… alors dans notre monde se retrouvent des éléments tirés directement de nos cauchemars. Des éléments qui paraissent tellement réels qu’ils peuvent nous faire douter de notre propre capacité à les reconnaître.

Un monde nouveau s’ouvre alors à nous… un monde où tout ce qui était normal l’est un peu moins… un monde où les rêves vous emmènent au plus profond des Otherlands…


Des intérimaires gravement touchés par des accidents du travail, des livres qui ne contiennent que des pages blanches, un coureur du 100 mètres qui lévite, un homme qui font à l’eau, des accidents d’avion, une guerre des tranchées dans une main… voilà quelques unes des situations étranges auxquelles vous allez être confrontés dans ce recueil.

Je n’ai pas l’intention de revenir sur chacune des nouvelles. Il y en a une quinzaine, certaines très courtes, et donc les raconter, même pour donner envie, ce serait risquer de tout dévoiler. Il y a de très bonnes idées de manière générale. L’auteur maîtrise ses chutes, et crée un univers singulier. On oscille entre rêve et cauchemar. Toutes les situations sont surréalistes ou absurdes, du surréalisme ou de l’absurde qui ne peuvent que résulter d’un rêve, des situations où on ne sait plus où s’arrête la réalité et où commence le cauchemar.

L’ambiance m’a bien plu, mais je n’ai pas apprécié pareillement toutes les nouvelles. Il y a aussi une uniformité de style et de ton (une narration à la première personne, un style constamment ironique, sarcastique et coupant), que j’ai trouvé dommage. J’aime bien quand les auteurs ont une imagination débordante, et quand ils sont capables de traduire ça dans leur écriture, pour y apporter des nuances et de la subtilité, ce qui m’a manqué ici. Pour autant j’admire l’imagination, les rapprochements et le jeu sur ce qui est attendu et la chute de ce recueil. Il y a d’ailleurs un personnage de cartoon que je ne m’attendais pas à voir dans un livre, quel qu’il soit, et qui apparaît dans l’une des nouvelles, et rien que pour ça, j’aime bien !

Lancelot – Collectif

Collectif

Dirigé par Jérôme Vincent

Lancelot

Editions Actu SF, 2014

373 pages

Présentation de l’éditeur

Lancelot est le plus grand des chevaliers de la Table ronde, mais aussi celui dont le destin est le plus tragique lorsqu’il trahit Arthur, son roi, en tombant amoureux de Guenièvre.

Loyal, pur et traître, il ne cesse de nous interroger depuis des siècles, se réinventent à chaque époque.

Neuf auteurs confirmés de l’imaginaire se sont emparés de sa figure pour lui inventer de nouvelles aventures donnant un éclairage nouveau à ce personnage résolument moderne. Neuf éclats de son âme. Et un peu de la nôtre.

Contient :

  • « Le Donjon noir » de Nathalie Dau
  • « Lancelot-Dragon » de Fabien Clavel
  • « Le meilleur d’entre eux » de Lionel Davoust
  • « Le Voeu d’oubli » de Armand Cabasson
  • « Je crois que chevalerie y sera » de Anne Fakhouri
  • « La tête qui crachait des dragons » de Thomas Geha
  • « Les Gens des pierres » de Franck Ferric
  • « Lance » de Jeanne-A Debats
  • « Pourquoi dans les grands bois, aimé-je à m’égarer » de Karim Berrouka

Comme à mon habitude, c’est bien après avoir lu le livre que j’ai appris dans quelles circonstances il a été publié. Cette fois, au moins, pas de surprise type « j’ai lu la première édition alors qu’il y en a eu une nouvelle, revue et corrigée, publiée récemment ». Simplement, Lancelot est l’anthologie officielle de l’édition 2014 du (feu) Festival Zone Franche de Bayeux. Pour l’occasion, donc, 9 auteurs ont livré leur vision de ce personnage mythique de la Quête du Graal et de la Table ronde, l’un des plus connus de la Légende arthurienne.

Les nouvelles ont été classées selon la chronologie de l’histoire de Lancelot. Ainsi, « Le Donjon noir » de Nathalie Dau se situe au moment où Lancelot rejoint la Table Ronde et rencontre Guenièvre. Cette nouvelle introduit aussi le monde d’en bas et les rapports ambigus qu’il entretient avec le monde de humains. Elle présente aussi le personnage de Lancelot à travers ce qui le rend si particulier : sa relation avec Guenièvre.

Vu le personnage et le mythe arthurien, cette anthologie ne pouvait faire l’impasse sur la Quête du Graal. « Lancelot-Dragon » de Fabien Clavel montre un Lancelot banni de Camelot qui tente de disparaître et qui va se retrouver pris dans une sorte de voyage initiatique et spirituel qui va le rapprocher du Graal. D’une manière très différente, « Le meilleur d’entre eux » de Lionel Davoust évoque aussi la Quête du Graal. Alors que Camelot se meurt, touchée par la peste et la famine, Lancelot revient d’un voyage avec un message et une nouvelle compréhension de la quête.

« Le Vœu d’oubli » de Armand Cabasson présente Lancelot qui a fait un vœu d’oubli et qui voyage au Danemark sous un nom d’emprunt. Il part en croisade et continue à réaliser des exploits, alors que tout semble vouloir lui rappeler ce qu’il a oublié.

Plusieurs auteurs ont choisi d’imaginer ce qui s’est passé après la disgrâce de Lancelot pour le chevalier ou pour ses compagnons d’arme. « Je crois que chevalerie y sera » de Anne Fakhouri nous montre Gauvain, Bohort, Lionel et Hector qui partent à la recherche de Lancelot, cherchant à le connaître et à la comprendre. « La tête qui crachait des dragons » de Thomas Geha commence après la trahison et la mort de Guenièvre, alors que des dragons ont envahi le royaume. Arthur fait appel à Lohengrin, le fils de Perceval, pour qu’il parte à la recherche de Lancelot, seul espoir contre le fléau.

Les trois nouvelles qui terminent le recueil, tout en étant de genres et registres très différents, imaginent une vie après la mort de Lancelot et des chevaliers. « Les Gens des pierres » de Franck Ferric se déroule après la mort d’Arthur qui demeure en Avalon. Les spectres des chevaliers Lancelot, Gauvain, Mordred et d’autres, vivent à Camelot dans une sorte d’entre-monde, alors que dans une île proche, Elaine de Shalott, jeune femme à la destinée maudite, est prisonnière de sa tour. En effet, si elle la quitte, un malheur s’abattra sur son peuple. Pourtant, elle ne rêve que d’une chose, quitter la tour et rejoindre les chevaliers qu’elle aperçoit par sa fenêtre.

« Lance » de Jeanne-A Debats reprend l’un des personnages récurrents de l’auteur, Navarre, le vampire de Métaphysique du Vampire et de l’Héritière. Dans cette nouvelle qui se déroule en 1936, Navarre est au service du Vatican et il est chargé de se rendre en Avalon pour éveiller Lancelot d’un sommeil millénaire afin qu’il tue un dragon appelé par les nazis. Le tout est raconté par Navarre avec un humour décapant et se déroule dans un monde proche du nôtre, mais habité par tout un tas de créatures fantastiques.

« Pourquoi dans les grands bois, aimé-je à m’égarer » de Karim Berrouka reprend, d’après ce que j’ai compris, les personnages de Fées, weed et guillotines, Marc-Aurèle, Petiot, Buragne et Premier de la classe. Ils enquêtent sur un meurtre étrange, une attaque d’écureuil et un carnage à l’épée. Ils se retrouvent les spectateurs d’un combat entre deux légendes, Lancelot et Gauvain, qui sont restés chevaliers, mais qui ont beaucoup vieilli. Les deux chevaliers se battent pour régler une querelle millénaire, avec force de jurons (« forniquard de hareng gaupe » – je n’ai pas pu m’empêcher d’en noter quelques uns).

Ainsi, ces nouvelles racontent et mettent en scène le personnage de Lancelot, avec des aspects différents de sa légende : chevalier vertueux, amoureux, traître et responsable de la ruine de Camelot. J’ai évoqué rapidement chaque nouvelle, parce que cette lecture commence à dater et que j’en garde un souvenir imprécis. De même, je serai bien en peine d’en désigner mes préférées. Ce sont des nouvelles très différentes, et c’est cette variété qui fait l’intérêt de ce recueil, tout comme les points de vues et les réécritures du mythe qu’a fait chaque auteur.

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Du sang dans les plumes – Joel Williams

Couverture - Du sang dans les plumes

Joel WILLIAMS

Du sang dans les plumes

(traduit par Natalie Beunat et Patrice Carrer)

Editions 13e Note, 2012

237 pages

Collection Pulse

Présentation de l’éditeur

Au carrefour de la tradition amérindienne et de la littérature de prison, de l’humour et de la poésie, Joel Williams, le boxeur guitariste, nous fait partager les hantises mais aussi les espoirs qui rythment ses journées : tentation de la folie et de l’autodestruction, méfiance, violence, trafics, rivalités de gangs, recherche des racines ethniques, survie face à la mesquinerie et aux humiliations, défoulement dans le sport, obsession sexuelle, image de la Femme tentatrice, salut par l’art…

« Je m’appelle Joel Williams. J’ai 46 ans, je suis un Amérindien de la tribu shoshone-païute. Je suis incarcéré depuis vingt-cinq ans, suite à une condamnation à perpétuité assortie d’une peine plancher de vingt-sept ans. Je suis également écrivain.

Voici comment tout à commencé… »

Postface du professeur Stephen Cooper, auteur de Plein de vie, la biographie de référence de John Fante.

En bonus, une nouvelle inédite du grand James Crumley, « Jeux de hasard », retrouvé dans son ordinateur par sa veuve Martha Elizabeth.


Difficile de faire cette chronique. J’ai l’impression que pour se plonger dans cette œuvre il faut adhérer à l’univers des éditions 13e Note (qui n’existent plus aujourd’hui) : une littérature américaine underground, qui prend place dans une certaine contre-culture.

Joel Williams, d’origine amérindienne, est incarcéré depuis 1985 dans un pénitencier de haute sécurité. Il a tué son père alors qu’il avait 21 ans, après des années d’abus. Ce recueil est accompagné de préfaces pour expliquer comment s’est faite la découverte de cet auteur depuis sa prison. Puis, l’auteur lui-même raconte sa vie, ce qui l’a mené à commettre un crime, et comment il en est venu à écrire sur ce qu’il a vécu. L’éditeur précise cependant que si ce crime lui avait paru atroce et insupportable, éthiquement, il n’aurait pas choisi de publier ce recueil.

Les nouvelles sont divisées en deux parties : « Dérives urbaines », qui raconte la vie des laissés pour compte, entre l’errance d’un jeune homme à Los Angeles, entre alcool, drogue, sexe et virées en voiture, ou le quotidien d’un SDF ; et « Derrière les barreaux », où un personnage qui est l’alter ego papier de l’auteur raconte son quotidien en prison. Les nouvelles sont parfois inégales, mais c’est ce qui arrive souvent dans les recueils. Nous avons en plus le cas d’un « jeune » auteur qui a appris l’écriture par lui-même.

Les nouvelles sont plutôt sombres, parfois dérangeantes, faisant ressentir la souffrance et la cruauté de cette condition. Y demeurent tout de même des instants d’espoir. On est loin de l’auto-apitoiement. Au contraire, l’auteur choisit la lucidité quant à certaines situations, l’auto-dérision pour d’autres, ce qui rend son personnage d’autant plus humain. Je ne vais pas m’attarder sur le détail de ces nouvelles, surtout pour ce qui est de l’appréciation de chacune. Il y a des thèmes ou des situations qu’on va préférer à d’autres, cela dépend vraiment de la sensibilité de chacun.

L’auteur emmène son lecteur dans un univers dont personnellement j’ignorais tout. En conclusion, l’expérience est éclairante et c’est aussi pour cela que j’aime et conseille ce recueil. Il n’est peut-être pas facile de le trouver, mais il vaut indéniablement le coup.

Stratégies du réenchantement – Jeanne-A Debats

Couverture - Stratégies du réenchantement

Jeanne-A DEBATS

Stratégies du réenchantement

Editions Griffe d’Encre, 2010

247 pages

Présentation de l’éditeur

Devant l’insupportable, il est malaisé de se révolter, mais parfois plus encore de se soumettre.

Huit nouvelles sur l’art et les raisons de dire non, huit stratégies pour réenchanter le monde jusqu’à, parfois, le détruire.


La quatrième de couverture est éloquente. Ce recueil contient 8 nouvelles sur « l’art et les raisons de dire « non » » : désobéissance, résistance, survie, à une situation oppressante et imposée ou à soi-même. Chaque nouvelle se place dans un univers différent : fantastique, avec un aspect historique, science-fiction, ou anticipation.

Aria Furiosa. Durant la seconde guerre mondiale, une danseuse d’opéra blessée travaille chez un célèbre castrat et raconte comment il s’est vu obligé de chanter pour les nazis, alors qu’il a pris sa retraite. Ce premier récit m’a éblouie. Je l’ai trouvée très beau et touchant, dans ce face à face entre ce castrat et un colonel nazi.

Saint-Valentin. La petite amie d’un tueur en série, qui ne s’en prend qu’aux fées, change de vie grâce à l’intervention d’un lutin qui exauce les voeux. Elle se rend compte alors qu’elle préférait sa première vie et part à la recherche du lutin pour qu’il la lui rende. La situation de départ m’a beaucoup amusée, même si j’ai moins aimé cette nouvelle dans la durée. C’est la seule nouvelle qui dénote dans ce recueil par son aspect fantastique et saugrenu.

Paso doble. Dans un monde où la technologie permet de réimplanter les âmes dans des corps différents, une cuadrilla, une équipe de torreros s’entraîne, entre jalousie et compétition interne, pour une important corrida. La chute est amère, mais excellente.

Stratégies du réenchantement. Une maladie ravage l’humanité après une nouvelle révolution sexuelle : le Sida4, qui a pour particularité d’annihiler toutes les émotions, faisant des malades des dangers pour la société. L’intrigue met face à face un père atteint du SIda4 et sa fille. Cette nouvelle est assez dérangeante, mais elle m’a produit une forte impression – sa fin, notamment, m’a soufflée.

Privilège insupportable. Univers post-apocalyptique, dans lequel l’oxygène est rationné. Un homme trouve alors le moyen de vivre en secret une vie différente, en désobéissant aux règles instaurées pour la survie de tous. C’est un texte glauque, sombre, dérangeant lui aussi, mais qui met en lumière une histoire des descendance et d’héritage.

Gilles au bûcher. Encore un univers post-apocalyptique qui traite, comme de la nouvelle précédente, de descendance et d’héritage. Gilles survit depuis des centaines d’années dans un bunker au milieu d’une terre ravagée par une guerre nucléaire. Il a recréé des générations d’humains pour reconstruire une société.

Fugues et fragrances au temps du Dépotoir. Les habitants de Cecilya, une station spatiale abritant un trou noir, au bord de la ruine, luttent contre les Réguliers qui sont venus pour les évacuer. Cette nouvelle est la plus longue. Je l’ai trouvé très intéressante par ce qu’elle montre de la station, dans laquelle la gravité et le temps peuvent changer à tout instant.

Nettoyage de printemps. Texte très court à propos d’un agent des Time Corps dont le rôle est de réparer les changements opérés dans l’histoire par les touristes temporels, qui va décider de nettoyer la seule grande tache de l’histoire. Cette nouvelle radicale est parfaite pour clôturer ce recueil.

Postface. L’Art du changement d’état, de Jean-Claude Dunyach. Dans cette postface, Jean-Claude Dunyach revient sur ce qui fait l’uniformité de ce recueil : le changement d’état, et la manière dont il est traité dans les nouvelles ou appréhendé par les personnages.

En conclusion, j’ai beaucoup aimé lire ce recueil. J’ai apprécié les nouvelles à des degrés divers, mais j’aime toujours autant ce que Jeanna-A Debat fait de ses univers. Ses récits sont percutants et intelligents et c’est toujours un grand plaisir de s’y plonger. (Et ma médiathèque remonte un peu dans mon estime en l’ayant dans sa collection ^^.)

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Légendes d’automne – Jim Harrison

Couverture - Légendes d'automne

Jim HARRISON

Légendes d’automne (traduit par Serge Lentz)

Editions 10/18, 1985.

318 pages.

Contient : Une vengeance… ; L’homme qui abandonna son nom ; Légendes d’automne.

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Présentation de l’éditeur

Au fil de ces trois novelas puissantes et sauvages, Jim Harrison compose une tragédie moderne où la violence, la rédemption et l’amour vibrent à chaque page. De  Cochran, l’ancien militaire laissé pour mort, à Tristan Ludlow, parti pour le front en 1914, la vengeance immuable est au coeur de leur destin.

Mon avis

Comme l’annonce la quatrième de couverture, Légendes d’automne contient en fait trois nouvelles de Jim Harrison.

Dans Une vengeance…, un homme agonisant est retrouvé dans le désert mexicain. Cochran a été tabassé et laissé pour mort pour avoir eu une liaison avec la femme d’un de ces dangereux caïds mexicains, Tibey, un ancien ami. Il est soigné dans une mission mennonite et repart à la recherche de son amante et de son tortionnaire.

L’homme qui abandonna son nom retrace la vie de Nordstrom. Celui-ci a rencontré sa femme dans un cours de danse moderne à l’université. Vingt ans plus tard, il a repris la danse, mais il est divorcé et passe régulièrement du temps avec sa fille, l’invite dans des villas et lui cuisine de bons plats. Arrivé à un tournant de sa vie, il réfléchit à la manière dont il l’a mené et envisage de quitter son travail de directeur d’une entreprise pétrolière. Dans cette recherche de lui-même, il se retrouve confronté à Slats, une brute qui tente de lui extorquer de l’argent.

Légendes d’automne est la saga d’un homme, Tristan Ludlow. Parti pour la guerre, hanté par la mort de son frère Samuel au front, il finit par devenir un genre d’aventurier et revient dans son Montana natal après avoir touché l’Europe, l’Afrique, l’Asie… Il traverse les époques, avec sa famille et les tragédies qui parcourent les vies mouvementées et tourmentées.

Ces trois nouvelles ont comme un fil conducteur : la vie d’hommes exceptionnels, animés par l’esprit de vengeance et le désir de rédemption. La violence est présenté comme le seul exutoire à la culpabilité et au chagrin. Les trois récits sont des vagues puissantes qui embarquent leur lecteur vers des eaux à la profondeur insoupçonnée : celle de l’âme humaine. Ecriture passionnée qui devient passionnante, évocatrice d’aventures et de liberté, celle des grands espaces, celle que donne l’audace et le caractère indomptable des personnages. Je manque de mots pour dire à quel point ces trois nouvelles ont été un vrai bonheur à lire? J’avais l’impression de m’évader irrésistiblement vers d’autres terres… Un régal pour l’esprit !

Divergences 001 – Alain Grousset

Couverture - Divergences 001

Présentation de l’éditeur

Eté 1945. Plusieurs missiles sont propulsés depuis l’Allemagne. Face à Hitler, le gouvernement des Etats-Unis finit par capituler.

New York, 1963. En sortant du restaurant, ils firent un tour sur les quais. Depuis le ponton, on distinguait la statue plantée dans la baie de New York. Miss Liberty avait laissé place à une gigantesque Walkyrie casquée, portant glaive et bouclier, conçue par l’architecte du Reich. Rod porta son regard sur un zeppelin qui flottait avec paresse au-dessus des buildings. La ville était puissante et calme, à l’image du régime.

Et si Noé n’avait pas été le seul homme à survivre au déluge ? Et si Hitler avait gagné la Seconde guerre mondiale ? Autant de questions qui nous montre que l’Histoire n’est pas figée, qu’il suffit d’un moment, d’une divergence, pour changer le cours du temps.

Neuf grands auteurs de science-fiction ont accepté, l’instant d’une nouvelle, de devenir les maîtres du Temps.

Mon Avis

Vous l’aurez compris, Divergences 001 est un recueil de nouvelles uchroniques. Et en temps que recueil, il propose un éventail de ce qu’il est possible de faire, de changer, de modifier dans l’histoire pour écrire une uchronie, avec un bon panorama d’auteurs français (plus un anglais) de science fiction. Le recueil balaie plusieurs époque de l’Histoire, depuis le temps de la Bible, jusqu’à un « de nos jours » qui paraît des plus futuristes.

Malheureusement, toutes ces nouvelles ne sont pas au même niveau. Les premières sont des plus étranges, j’ai peu accroché à leur propos. Ca a changé avec la nouvelle de Fabrice Colin, qui renverse l’histoire de l’esclavage d’une façon des plus intéressantes. J’ai également beaucoup aimé Pax Bonapartia de Johan Heliot, ainsi que De la part de Staline de Roland C. Wagner, avec une petite joie à la lecture de Reich Zone de Xavier Mauméjean et ses super guest star comme personnages (Tony Curtis, Kirk Douglas, et Rod Serling).

Conclusion, un recueil assez inégal, qui est cependant une bonne introduction au genre de l’uchronie (tout en soulignant que cette entreprise n’est pas des plus aisées…). La postface est très intéressante, plus qu’elle parle de l’uchronie d’une point de vue plus historique, formel et symbolique. Elle propose en plus une liste de titres d’œuvres uchroniques.

Challenge Uchronie____________________________________________________________________________

Divergences 001. Nouvelles réunies et présentées par Alain Grousset. Editions Flammarion, 2008. 299 pages. Collection Ukronie. Contient :

  • Après le déluge, Pierre Pélot
  • Exode, Jean-Marc Ligny
  • Le serpent qui changea le monde, Fabrice Colin
  • Le petit coup d’épée de Maurevert, Michel Pagel
  • Pax Bonapartia, Johan Heliot
  • L’affaire Marie Curie, Laurent Genefort
  • Reich Zone, Xavier Mauméjean
  • De la part de Staline, Roland C. Wagner
  • Une histoire très britannique, Paul J. McAuley
  • Postface : Eric B. Henriet