Lancelot – Collectif

Collectif

Dirigé par Jérôme Vincent

Lancelot

Editions Actu SF, 2014

373 pages

Présentation de l’éditeur

Lancelot est le plus grand des chevaliers de la Table ronde, mais aussi celui dont le destin est le plus tragique lorsqu’il trahit Arthur, son roi, en tombant amoureux de Guenièvre.

Loyal, pur et traître, il ne cesse de nous interroger depuis des siècles, se réinventent à chaque époque.

Neuf auteurs confirmés de l’imaginaire se sont emparés de sa figure pour lui inventer de nouvelles aventures donnant un éclairage nouveau à ce personnage résolument moderne. Neuf éclats de son âme. Et un peu de la nôtre.

Contient :

  • « Le Donjon noir » de Nathalie Dau
  • « Lancelot-Dragon » de Fabien Clavel
  • « Le meilleur d’entre eux » de Lionel Davoust
  • « Le Voeu d’oubli » de Armand Cabasson
  • « Je crois que chevalerie y sera » de Anne Fakhouri
  • « La tête qui crachait des dragons » de Thomas Geha
  • « Les Gens des pierres » de Franck Ferric
  • « Lance » de Jeanne-A Debats
  • « Pourquoi dans les grands bois, aimé-je à m’égarer » de Karim Berrouka

Comme à mon habitude, c’est bien après avoir lu le livre que j’ai appris dans quelles circonstances il a été publié. Cette fois, au moins, pas de surprise type « j’ai lu la première édition alors qu’il y en a eu une nouvelle, revue et corrigée, publiée récemment ». Simplement, Lancelot est l’anthologie officielle de l’édition 2014 du (feu) Festival Zone Franche de Bayeux. Pour l’occasion, donc, 9 auteurs ont livré leur vision de ce personnage mythique de la Quête du Graal et de la Table ronde, l’un des plus connus de la Légende arthurienne.

Les nouvelles ont été classées selon la chronologie de l’histoire de Lancelot. Ainsi, « Le Donjon noir » de Nathalie Dau se situe au moment où Lancelot rejoint la Table Ronde et rencontre Guenièvre. Cette nouvelle introduit aussi le monde d’en bas et les rapports ambigus qu’il entretient avec le monde de humains. Elle présente aussi le personnage de Lancelot à travers ce qui le rend si particulier : sa relation avec Guenièvre.

Vu le personnage et le mythe arthurien, cette anthologie ne pouvait faire l’impasse sur la Quête du Graal. « Lancelot-Dragon » de Fabien Clavel montre un Lancelot banni de Camelot qui tente de disparaître et qui va se retrouver pris dans une sorte de voyage initiatique et spirituel qui va le rapprocher du Graal. D’une manière très différente, « Le meilleur d’entre eux » de Lionel Davoust évoque aussi la Quête du Graal. Alors que Camelot se meurt, touchée par la peste et la famine, Lancelot revient d’un voyage avec un message et une nouvelle compréhension de la quête.

« Le Vœu d’oubli » de Armand Cabasson présente Lancelot qui a fait un vœu d’oubli et qui voyage au Danemark sous un nom d’emprunt. Il part en croisade et continue à réaliser des exploits, alors que tout semble vouloir lui rappeler ce qu’il a oublié.

Plusieurs auteurs ont choisi d’imaginer ce qui s’est passé après la disgrâce de Lancelot pour le chevalier ou pour ses compagnons d’arme. « Je crois que chevalerie y sera » de Anne Fakhouri nous montre Gauvain, Bohort, Lionel et Hector qui partent à la recherche de Lancelot, cherchant à le connaître et à la comprendre. « La tête qui crachait des dragons » de Thomas Geha commence après la trahison et la mort de Guenièvre, alors que des dragons ont envahi le royaume. Arthur fait appel à Lohengrin, le fils de Perceval, pour qu’il parte à la recherche de Lancelot, seul espoir contre le fléau.

Les trois nouvelles qui terminent le recueil, tout en étant de genres et registres très différents, imaginent une vie après la mort de Lancelot et des chevaliers. « Les Gens des pierres » de Franck Ferric se déroule après la mort d’Arthur qui demeure en Avalon. Les spectres des chevaliers Lancelot, Gauvain, Mordred et d’autres, vivent à Camelot dans une sorte d’entre-monde, alors que dans une île proche, Elaine de Shalott, jeune femme à la destinée maudite, est prisonnière de sa tour. En effet, si elle la quitte, un malheur s’abattra sur son peuple. Pourtant, elle ne rêve que d’une chose, quitter la tour et rejoindre les chevaliers qu’elle aperçoit par sa fenêtre.

« Lance » de Jeanne-A Debats reprend l’un des personnages récurrents de l’auteur, Navarre, le vampire de Métaphysique du Vampire et de l’Héritière. Dans cette nouvelle qui se déroule en 1936, Navarre est au service du Vatican et il est chargé de se rendre en Avalon pour éveiller Lancelot d’un sommeil millénaire afin qu’il tue un dragon appelé par les nazis. Le tout est raconté par Navarre avec un humour décapant et se déroule dans un monde proche du nôtre, mais habité par tout un tas de créatures fantastiques.

« Pourquoi dans les grands bois, aimé-je à m’égarer » de Karim Berrouka reprend, d’après ce que j’ai compris, les personnages de Fées, weed et guillotines, Marc-Aurèle, Petiot, Buragne et Premier de la classe. Ils enquêtent sur un meurtre étrange, une attaque d’écureuil et un carnage à l’épée. Ils se retrouvent les spectateurs d’un combat entre deux légendes, Lancelot et Gauvain, qui sont restés chevaliers, mais qui ont beaucoup vieilli. Les deux chevaliers se battent pour régler une querelle millénaire, avec force de jurons (« forniquard de hareng gaupe » – je n’ai pas pu m’empêcher d’en noter quelques uns).

Ainsi, ces nouvelles racontent et mettent en scène le personnage de Lancelot, avec des aspects différents de sa légende : chevalier vertueux, amoureux, traître et responsable de la ruine de Camelot. J’ai évoqué rapidement chaque nouvelle, parce que cette lecture commence à dater et que j’en garde un souvenir imprécis. De même, je serai bien en peine d’en désigner mes préférées. Ce sont des nouvelles très différentes, et c’est cette variété qui fait l’intérêt de ce recueil, tout comme les points de vues et les réécritures du mythe qu’a fait chaque auteur.

ABC Imaginaire 2015 v2

Du sang dans les plumes – Joel Williams

Couverture - Du sang dans les plumes

Joel WILLIAMS

Du sang dans les plumes

(traduit par Natalie Beunat et Patrice Carrer)

Editions 13e Note, 2012

237 pages

Collection Pulse

Présentation de l’éditeur

Au carrefour de la tradition amérindienne et de la littérature de prison, de l’humour et de la poésie, Joel Williams, le boxeur guitariste, nous fait partager les hantises mais aussi les espoirs qui rythment ses journées : tentation de la folie et de l’autodestruction, méfiance, violence, trafics, rivalités de gangs, recherche des racines ethniques, survie face à la mesquinerie et aux humiliations, défoulement dans le sport, obsession sexuelle, image de la Femme tentatrice, salut par l’art…

« Je m’appelle Joel Williams. J’ai 46 ans, je suis un Amérindien de la tribu shoshone-païute. Je suis incarcéré depuis vingt-cinq ans, suite à une condamnation à perpétuité assortie d’une peine plancher de vingt-sept ans. Je suis également écrivain.

Voici comment tout à commencé… »

Postface du professeur Stephen Cooper, auteur de Plein de vie, la biographie de référence de John Fante.

En bonus, une nouvelle inédite du grand James Crumley, « Jeux de hasard », retrouvé dans son ordinateur par sa veuve Martha Elizabeth.


Difficile de faire cette chronique. J’ai l’impression que pour se plonger dans cette œuvre il faut adhérer à l’univers des éditions 13e Note (qui n’existent plus aujourd’hui) : une littérature américaine underground, qui prend place dans une certaine contre-culture.

Joel Williams, d’origine amérindienne, est incarcéré depuis 1985 dans un pénitencier de haute sécurité. Il a tué son père alors qu’il avait 21 ans, après des années d’abus. Ce recueil est accompagné de préfaces pour expliquer comment s’est faite la découverte de cet auteur depuis sa prison. Puis, l’auteur lui-même raconte sa vie, ce qui l’a mené à commettre un crime, et comment il en est venu à écrire sur ce qu’il a vécu. L’éditeur précise cependant que si ce crime lui avait paru atroce et insupportable, éthiquement, il n’aurait pas choisi de publier ce recueil.

Les nouvelles sont divisées en deux parties : « Dérives urbaines », qui raconte la vie des laissés pour compte, entre l’errance d’un jeune homme à Los Angeles, entre alcool, drogue, sexe et virées en voiture, ou le quotidien d’un SDF ; et « Derrière les barreaux », où un personnage qui est l’alter ego papier de l’auteur raconte son quotidien en prison. Les nouvelles sont parfois inégales, mais c’est ce qui arrive souvent dans les recueils. Nous avons en plus le cas d’un « jeune » auteur qui a appris l’écriture par lui-même.

Les nouvelles sont plutôt sombres, parfois dérangeantes, faisant ressentir la souffrance et la cruauté de cette condition. Y demeurent tout de même des instants d’espoir. On est loin de l’auto-apitoiement. Au contraire, l’auteur choisit la lucidité quant à certaines situations, l’auto-dérision pour d’autres, ce qui rend son personnage d’autant plus humain. Je ne vais pas m’attarder sur le détail de ces nouvelles, surtout pour ce qui est de l’appréciation de chacune. Il y a des thèmes ou des situations qu’on va préférer à d’autres, cela dépend vraiment de la sensibilité de chacun.

L’auteur emmène son lecteur dans un univers dont personnellement j’ignorais tout. En conclusion, l’expérience est éclairante et c’est aussi pour cela que j’aime et conseille ce recueil. Il n’est peut-être pas facile de le trouver, mais il vaut indéniablement le coup.

Stratégies du réenchantement – Jeanne-A Debats

Couverture - Stratégies du réenchantement

Jeanne-A DEBATS

Stratégies du réenchantement

Editions Griffe d’Encre, 2010

247 pages

Présentation de l’éditeur

Devant l’insupportable, il est malaisé de se révolter, mais parfois plus encore de se soumettre.

Huit nouvelles sur l’art et les raisons de dire non, huit stratégies pour réenchanter le monde jusqu’à, parfois, le détruire.


La quatrième de couverture est éloquente. Ce recueil contient 8 nouvelles sur « l’art et les raisons de dire « non » » : désobéissance, résistance, survie, à une situation oppressante et imposée ou à soi-même. Chaque nouvelle se place dans un univers différent : fantastique, avec un aspect historique, science-fiction, ou anticipation.

Aria Furiosa. Durant la seconde guerre mondiale, une danseuse d’opéra blessée travaille chez un célèbre castrat et raconte comment il s’est vu obligé de chanter pour les nazis, alors qu’il a pris sa retraite. Ce premier récit m’a éblouie. Je l’ai trouvée très beau et touchant, dans ce face à face entre ce castrat et un colonel nazi.

Saint-Valentin. La petite amie d’un tueur en série, qui ne s’en prend qu’aux fées, change de vie grâce à l’intervention d’un lutin qui exauce les voeux. Elle se rend compte alors qu’elle préférait sa première vie et part à la recherche du lutin pour qu’il la lui rende. La situation de départ m’a beaucoup amusée, même si j’ai moins aimé cette nouvelle dans la durée. C’est la seule nouvelle qui dénote dans ce recueil par son aspect fantastique et saugrenu.

Paso doble. Dans un monde où la technologie permet de réimplanter les âmes dans des corps différents, une cuadrilla, une équipe de torreros s’entraîne, entre jalousie et compétition interne, pour une important corrida. La chute est amère, mais excellente.

Stratégies du réenchantement. Une maladie ravage l’humanité après une nouvelle révolution sexuelle : le Sida4, qui a pour particularité d’annihiler toutes les émotions, faisant des malades des dangers pour la société. L’intrigue met face à face un père atteint du SIda4 et sa fille. Cette nouvelle est assez dérangeante, mais elle m’a produit une forte impression – sa fin, notamment, m’a soufflée.

Privilège insupportable. Univers post-apocalyptique, dans lequel l’oxygène est rationné. Un homme trouve alors le moyen de vivre en secret une vie différente, en désobéissant aux règles instaurées pour la survie de tous. C’est un texte glauque, sombre, dérangeant lui aussi, mais qui met en lumière une histoire des descendance et d’héritage.

Gilles au bûcher. Encore un univers post-apocalyptique qui traite, comme de la nouvelle précédente, de descendance et d’héritage. Gilles survit depuis des centaines d’années dans un bunker au milieu d’une terre ravagée par une guerre nucléaire. Il a recréé des générations d’humains pour reconstruire une société.

Fugues et fragrances au temps du Dépotoir. Les habitants de Cecilya, une station spatiale abritant un trou noir, au bord de la ruine, luttent contre les Réguliers qui sont venus pour les évacuer. Cette nouvelle est la plus longue. Je l’ai trouvé très intéressante par ce qu’elle montre de la station, dans laquelle la gravité et le temps peuvent changer à tout instant.

Nettoyage de printemps. Texte très court à propos d’un agent des Time Corps dont le rôle est de réparer les changements opérés dans l’histoire par les touristes temporels, qui va décider de nettoyer la seule grande tache de l’histoire. Cette nouvelle radicale est parfaite pour clôturer ce recueil.

Postface. L’Art du changement d’état, de Jean-Claude Dunyach. Dans cette postface, Jean-Claude Dunyach revient sur ce qui fait l’uniformité de ce recueil : le changement d’état, et la manière dont il est traité dans les nouvelles ou appréhendé par les personnages.

En conclusion, j’ai beaucoup aimé lire ce recueil. J’ai apprécié les nouvelles à des degrés divers, mais j’aime toujours autant ce que Jeanna-A Debat fait de ses univers. Ses récits sont percutants et intelligents et c’est toujours un grand plaisir de s’y plonger. (Et ma médiathèque remonte un peu dans mon estime en l’ayant dans sa collection ^^.)

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