Le bleu des abeilles – Laura Alcoba

Couverture - le bleu des abeilles

Laura ALCOBA

Le Bleu des abeilles

Editions Gallimard, 2013.

120 pages

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Présentation de l’éditeur

La narratrice a une dizaine d’année lorsqu’elle parvient à quitter l’Argentine pour rejoindre sa mère, opposante à la dictature réfugiée en France. Son père est en prison à La Plata. Elle s’attend à découvrir Paris, la Tour Eiffel et les quais de Seine. Mais Le Blanc-Mesnil, où elle atterrit, ressemble assez peu à l’image qu’elle s’était faite de son pays d’accueil.

Comme son premier livre, Manèges, Laura Alcoba décrit une réalité très dure avec le regard et la voix d’une enfant éblouie. La vie d’écolière, la découverte de la neige, la correspondance avec le père emprisonné, l’existence quotidienne dans la banlieue, l’apprentissage émerveillé de la langue française forment une chronique acidulée, joyeuse, profondément touchante.

Mon avis

Le point de départ de mon voyage se trouve quelque part sous mon nez.

La narratrice a dix ans, son père, opposant à la dictature en place en Argentine, est en prison et sa mère s’est exilée en France. Il est prévu que la narratrice la rejoigne bientôt. Aussi, elle se met à apprendre le français et découvre les sonorités nouvelles de cette langue qui la fascine : les « on » « an » « in » et le c cédille. Elle s’imagine à Paris, non loin de la Tour Eiffel, sur les bords de Seine. Mais c’est au Blanc-Mesnil, Cité de la Voie verte qu’elle débarque. Les murs de l’appartement que sa mère partage avec une amie argentine sont couverts d’une tapisserie aux figures géométriques qui évoquent un réseau de tuyauterie. Elle va dans une école française et se rend compte de sa difficulté à comprendre quand on lui parle, de son accent qui lui fait honte. Elle cherche par tous les moyens à s’immerger dans cette langue qui lui résiste et rêve de parler parfaitement le français.

Dans Le Bleu des abeilles, la narratrice raconte ses premiers mois en France, sous la forme d’anecdotes. Il y a la correspondance hebdomadaire qu’elle tient avec son père. Elle y parle notamment d’un livre qu’elle et son père lisent en commun : La vie des abeilles de Meaterlinck qui affirme que le bleu est la couleur préférée des abeilles. Il est aussi souvent question d’une cinquième photo qu’il manque à son père, que son père lui réclame et qu’elle ne se résout pas à lui envoyer. Elle parle de l’école, de sa fierté après s’être fait une amie française dans un quartier habité par des portugais et des espagnols, d’un séjour qu’elle fait dans une famille française en Savoie et où elle s’initie au ski et au reblochon. Elle essaie de lire Les fleurs bleues de Raymond Queneau, livre qu’elle a choisi pour la beauté de son titre, et qu’elle s’entête à poursuivre, même si elle n’y comprend pas grand chose. Il y a aussi la visite de Raquel et Fernando, des amis guerilleros de sa mère, exilés en Suède, qui arrivent avec le coffre de leur voiture plein de meubles et de bibelots. Elle désespère de pénétrer pleinement dans la langue française jusqu’à ce qu’enfin, un jour, elle prononce une phrase spontanément en français, presque sans s’en rendre compte. Cela met fin à une sorte de blocage indicible et elle réussit à envoyer à son père la photo qu’il désirait.

Le bleu des abeilles est une œuvre d’autofiction. L’auteur annonce à la fin du livre qu’elle l’a écrit sur la base de souvenirs, de photo et des lettres qu’elle a reçu de son père pendant cette période. La relecture de ces lettres en 2012 a déclenché l’écriture du livre. On peut dire que l’auteur poursuit le travail de mémoire qu’elle a entrepris avec ses précédents romans. Et sur ce point, elle trouve sa place dans la tendance de cette rentrée littéraire.

La narration est à la première personne. La petite fille qui parle est à la fois l’auteur et un personnage. Elle raconte ce qu’elle a vécu à partir d’un présent proche qui est celui de 1979.

La visée de ce roman n’est pas autobiographique. L’histoire personnelle de l’auteur est plutôt un prétexte pour évoquer des sujets qui lui tiennent à cœur : l’apprentissage d’une langue, son appropriation, le déracinement, le fait de découvrir un autre pays et d’y trouver sa place.

Le style évoque ce qui est vu et ressenti par un enfant. L’auteur va à la simplicité. Il est beaucoup question des émotions de la narratrice et de leurs causes. Elle s’étend longuement sur la fascination que la langue française exerce sur elle. Elle utilise divers métaphores pour qualifier l’appropriation et l’apprentissage de la langue. Elle parle d’abord d’un voyage, qui débute dans ses premières tentatives de prononcer les sons nasaux typiques du français (on an in) et qui se termine la fois où elle n’a plus à traduire dans sa tête ce qu’elle veut de l’espagnol au français, quand elle atteint la spontanéité qu’elle envie aux personnes natives du français. Cet apprentissage c’est aussi l’immersion, le bain (« plonger dans le bain sans en perdre une seule goutte »). La dernière image qu’elle utilise ce sont les canalisations (cf. les tuyaux qui parcourent les murs de l’appartement au Blanc-Mesnil). La langue est donc un lieu à investir, une canalisation dans laquelle il faut entrer. Elle est aussi qualifié de manière physique. Elle est en lien avec le corps (les sons retenus sous le nez).

En toile de fond, c’est la situation de l’Argentine qui apparaît dans des détails très concrets : la visite à son père dans la prison au premier chapitre, le règlement strict sur l’écriture des lettres (tout en espagnol), le nombre de photos autorisées par personne (5). La visite des amis réfugiés permet d’évoquer ce passé de guérilleros. Il y a notamment une énumération des noms de personnes opposées au régime qu’a connu la mère de la narratrice et dont la situation actuelle est emprisonné, mort, disparu, ou exilé.

J’ai personnellement beaucoup aimé ce roman. La narratrice est touchante. Son personnage est partagée entre l’Argentine où se trouve son père et la France avec sa langue qui la fascine. Elle aborde son amour des mots, de l’orthographe de manière simple, avec une écriture sans fioriture qui a du charme. Elle raconte également ce qu’est l’exil, le fait d’être émigré de manière délicate.

C’était une lecture très agréable et les passages où elle parle de la langue m’ont beaucoup plu, comme l’extrait que j’ai lu, parce qu’elle décrit des choses qui, en tant que locuteur natif, me sont invisibles ou me paraissent évidentes. Après cette lecture, on sait que les c cédilles ou les e muets peuvent avoir du charme et c’est tout un pan de la langue française qu’on redécouvre.

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