Animaux solitaires – Bruce Holbert

Couverture - Animaux solitaires

Bruce HOLBERT

Animaux solitaires (traduit par Jean-Paul Gratias)

Editions Gallmeister, 2013.

324 pages

Collection Noire

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Présentation de l’éditeur

Comté de l’Okanogan, Etat de Washington, 1932. Russel Strawl, ancien officier de police pour le compte de l’armée, reprend du service pour participer à la traque d’un tueur laissant dans son sillage des cadavres d’Indiens  minutieusement mutilés. Ses recherches l’entraînent au coeur des plus sauvages vallées de l’Ouest, là où les hommes qui pas de sang sur les mains sont rares et où le progrès n’a pas encore eu raison de la barbarie. De vieilles connaissances croisent sa route, sinistres échos d’une vie qu’il avait laissé derrière lui, tandis que se révèlent petit à petit les noirs mystères qui entourent le passé du policier et de sa famille.

A l’instar des romans de Cormac McCarthy, Animaux solitaires mêle avec brio les codes du western et ceux des grands romans noirs. Un premier roman remarquable dont on ne pourra oublier le héros mélancolique qui rêve d’imposer sa justice au confins de la civilisation. Quel que soit le prix à payer.

Mon avis

J’ai mis du temps à écrire cette chronique. Je l’avais évoqué dans un autre article, j’attendais en fait de rencontrer l’auteur (qui était en résidence à Clermont-Ferrand pendant un mois entre mars et avril). Et j’ai bien fait, parce que Bruce Holbert a un discours très intéressant sur son roman, sur son pays, sur le sujet qu’il a choisi de traiter.

Animaux solitaires est présenté parfois comme un western, parfois comme un roman policier, parfois comme un roman noir. Disons que l’enquête est un prétexte pour raconter une époque, un personnage, une ambiance.

Russel Strawl est un ancien shérif. En 1932, il reprend du service pour mener une enquête que les autorités ne veulent pas ou sont réticentes à mener. Il vit dans le comté de l’Okanogan, dans l’Etat de Washington, dans le nord-ouest des Etats-Unis (à ne pas confondre avec la ville de Washington, le contexte n’est pas du tout le même !). On est vraiment dans les grands espaces américains, dans un monde encore sauvage, qui refuse la modernité, et où la violence est omniprésente, parce que c’est le seul moyen de survivre. Russel Strawl est du côté de la loi, pourtant, il est bien plus violent que la plupart des criminels qu’il a pu arrêter.

Alors qu’on le dise tout de suite, ce roman est très violent. Très, très violent. Et surtout c’est une violence dégueulasse, choquante. L’auteur a volontairement exagéré ces scènes de violence pour ne pas en faire quelque chose d’héroïque. Pour faire une comparaison avec le cinéma, on peut regarder les films de Quentin Tarantino en rigolant parce que la violence est mise en scène, elle est extravagante, elle fait de belles images. Mais il y a aussi des passages (je pense notamment à une ou deux scènes de Django Unchained) qui mettent mal à l’aise, parce que la violence est brute, moche, et qu’elle dégoute profondément. Eh bien, avec Bruce Holbert, les descriptions de violence sont brutes, froides et elles ont l’effet d’une douche glacée, bien loin de l’esthétique héroïque des films d’action hollywoodiens.

Le roman se déroule en 1932. C’est une période assez compliquée, juste après la crise de 1929. Les personnes se sont repliées vers des modèles de vie presque archaïques, dans lequel la violence prime. Strawl, le personnage principal, est loin d’être une exception. Tous les hommes qui l’entourent ont du sang sur les mains. Ils sont habitués à cette vie et il ne leur viendrait pas à l’idée de prendre du recul sur cette culture de la violence qu’il y a chez eux. Et si Strawl dégoute, c’est normal. Il n’est pas possible d’aimer un personnage pareil. Ses notions de bien et de mal sont loin d’être claire, elles sont régulièrement remises en cause au cours du roman. Cela fait de Strawl un personnage globalement antipathique.

Je ne sais pas s’il est très pertinent de parler plus de l’enquête. Ce qui est intéressant, ce sont les rencontres que Strawl va faire pour résoudre les meurtres. Il va visiter des anciennes connaissances, qui sont susceptibles de l’informer sur le meurtrier : il y a Marvin, un guérisseur indien, Hayes, un homme qui a décidé de vivre en ermite, Jacob Chin, un homme violent, l’un des principaux suspects. On rencontre aussi Elijah, le fils adoptif de Strawl, un jeune homme troublant qui s’est pris pour un prophète quand il était enfant. En tous cas, la résolution de l’énigme n’est pas du tout évidente et l’identité du meurtrier, tout comme son mobile, m’ont surprise.

L’écriture est très maîtrisée et cela donne des scènes hallucinantes, belles, mais troublantes, où on se demande si les personnages ont encore toute leur tête ou s’ils sombrent doucement vers la folie. J’en ai d’ailleurs tiré pas mal de citations intéressantes, dont voici quelques morceaux choisis :

« Votre beauté, c’est du verre, et elle reflète la beauté des autres comme un miroir. Vous êtes un miracle. Mais vous ne le savez pas. Vous possédez une âme qui illumine le verre. Et si vous reconnaissez votre propre lumière, vous pourriez espérer l’amour, et le rendre. Mais alors un homme vous livre une vérité difficile à admettre, une vérité que vous n’avez pas envie d’entendre : « Dieu n’existe pas », ou bien « les humbles n’auront pas la terre en héritage », ou encore « votre beauté n’est pas éternelle ». Et vous lui lancez à la figure : « Pourquoi me dites-vous cela ? » Ce n’est que plus tard que vous comprenez qu’il ne voit pas à travers vous comme à travers une vitre et qu’il se refuse à le faire. Ce qu’il désire, en revanche, c’est déchirer sa propre peau à l’éclat de verre que vous êtres, c’est épancher son sang sur vous et vous rendre visible. »

ou encore :

Le monde serait une arithmétique toute simple si on en ôtait la vie.

J’ai beaucoup aimé lire ce roman. L’écriture et le style se dégustent. C’est vraiment très beau. Mais je renouvelle mes avertissements : c’est un roman extrêmement noir, qui interroge la complexité de la violence, et qui peut rebuter par ce qu’il en montre. Bruce Holbert est vraiment un auteur extraordinaire et je vais me faire un plaisir de le suivre et de lire ces prochains romans.

En bonus, une interview de l’auteur sur Incoldblog.fr qui parle de son roman et de ce qui l’a poussé à l’écrire.

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